mardi 9 octobre 2018

L'été de mes 60 ans (7)

Épisode 7 - 9 octobre 2018 - La perfection n'est pas de ce monde

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

La saison 1 de cet “été de mes 60 ans” allait trouver une suite rapide, dès le 9 octobre – le “number nine” mythique de John Lennon né, rappelons-le, un 9 octobre – en automne, donc, pour cette saison 2…

Et c'est encore une fois le topo anglophone de Michel Piola qui allait fournir la matière d'une journée de bonheur. Enthousiasmé par les dalles de Nessie, au bord du lac d'Émosson, je rêvais d'une suite – et m'étais juré (sic) de “retourner dans ce paradis”.

La suite se trouve six pages plus loin, au chapitre des Dalles de l'Arevassey. Le topo pourrait donner l'impression d'escalades mineures, à la hauteur limitée (90 mètres seulement) et aux cotations aimables. On va le voir : ne pas se fier aux apparences.

Première approche à vélo
Eh bien oui, jamais je n'avais effectué la “marche” d'approche d'une escalade à vélo. Le site d'Émosson s'y prête, puisque qu'une route madacamisée constitue les deux-tiers de l'approche. Et je découvre ce qu'est un faux-plat…


Magnanime, Zian me prête son VTT pour une autre première : la conduite d'un vélo à assistance électrique. D'un coup, les pentes s'aplanissent, et les tours de pédale deviennent aisés. Royal ! Une vingtaine de minutes à pied sur le sentier pour finir, et nous voici à pied d'œuvre, seuls sur le site.


Les dalles de l'Arevassey. Ci-contre, l'emplacement des deux voies remarquées sur le topo de Michel Piola.

Deux itinéraires avaient retenu notre attention. Bien dans l'esprit du second de cordée, j'avais proposé de commencer par le plus facile. Bien dans l'esprit du guide, Zian décide l'inverse. Nous commencerons par la fissure de “L'eau qui voulait retourner à la montagne” (jolie dénomination).

La fissure “à équiper” de la première longueur

J'ai eu peu d'occasions d'observer un premier de cordée équipant un longueur d'escalade sans aucun point d'assurage fixe, tout en songeant qu'il faudra que je rapporte le matériel. “Concentre-toi, il va falloir t'employer” me soufflé-je au moment de démarrer. Les 5 premiers mètres sont malcommodes, mais je parviens à ne pas m'aider de la sangle fixée à un friend, moyennant un mouvement d'opposition dynamique.


La suite appelle à la rescousse de très vieux souvenirs de longueurs granitiques : introduire la main dans la fissure, serrer le poing et, ainsi bloqué, progresser d'un pas; coincer l'avant-bras en diagonale, crocheter un relief, bien répartir les efforts sur les pieds, ne pas oublier d'ôter les points avant de s'en éloigner… et sans les laisser tomber s'il vous plaît. Plus on monte, moins la difficulté est élevée, une récompense bienvenue aux efforts de concentration. Pas loin de 40 mètres, maxi 5b+.


La deuxième longueur commence par une élégante et avenante dalle verte, dans laquelle Zian trouve une micro-fissure pour placer un tout aussi micro-coinceur. Puis il disparaît de ma vue et “tire” ses 40 mètres, dépassant le relais 2. Je lui avais timidement demandé de conclure par la variante à droite repérée sur le dessin de Michel Piola – trop dur sur la gauche, avais-je noté.

Et, bien sûr, la corde file sur la gauche quand je rejoins le dièdre arrondi encore à l'ombre. Rusé guide ! Il ne m'aura rien épargné, pensé-je en souriant intérieurement. Monté sur un feuillet, en équilibre précaire, je découvre une superbe dalle… trop lisse pour être honnête. Dix mètres au-dessus, Zian m'observe, goguenard. Je comprends que c'est, à nouveau, le moment ou jamais de “m'employer”. Prises de pieds fuyantes et cachées – à repérer avant de partir – une prise microscopique pour la main gauche, le mouvement est technique. Concentré, j'enchaîne les trois phases du passage, sans point d'aide ni… zipette, ce qui aurait été dommage.


Et donc… et donc, si j'en crois l'ouvreur et son topo, voilà que je me suis octroyé un “6a” bref mais labellisé. Surprise et bonheur (je n'avais pas franchi de passage de ce niveau depuis 25 ans au moins – fermez le ban !) Un joli cadeau d'anniversaire, rendu possible par Zian, qui a pris l'initiative de passer à gauche et non par la variante facile de droite.

Nous voilà sur une large vire garnie d'herbes couleur paille, environnés de dalles arrondies gris clair ou vertes, à quelque cent mètres au-dessus des eaux bleutées du lac, jardin suspendu de rêve. Pas un bruit, température idéale, le site pour nous tout seuls…

La suite se déroule dans le ressaut final, haut d'une trentaine de mètres. Le topo (en VO) précise laconiquement : “The left-hand variant of P3 and the start of P4 require concentration.”
“Indeed !” J'observe Zian placer un minuscule coinceur dans une encore plus minuscule fente horizontale, progresser par des mouvements souples et subtils, s'engager à droite, contourner un auvent, descendre dans une large fissure – qu'il équipe – et disparaître, comme toujours en escalade…



Je vais comprendre ce qui “requires concentration” ! Des mouvements bien complexes, avec un retour précipité d'un mètre pour recommencer, me rétablir sur des prises rondes, ôter la dégaine du seul spit en place (quelques mètres de 5c). Le contournement de l'auvent est tout aussi subtil, avec une dose de “faut y'aller…” aléatoire qui se termine bien.

Cette voie, qui pouvait paraître anecdotique sur le papier, est en réalité un superbe cocktail, assez “alpin” en définitive, rassemblant de nombreux styles d'escalade en seulement 90 mètres, dans lesquels “on grimpe” comme le résume Zian avec une concision évocatrice. Elle mérite une chaleureuse poignée de main à mon guide, qui a su me la rendre accessible, pour mon plus grand bonheur. Il est midi pile !


La faim se fait sentir. Les victuailles sont restée en bas. C'est le moment d'aller les rejoindre en rappels. La virtuosité de Zian est avérée : en moins d'une demi-heure, par trois rappels de 35, 45 et 35 mètres, nous sommes de retour à proximité du sentier.


“Tu te sens d'en gravir une autre ?” Oui franc et massif. Surtout que “Love Song” est signalée comme beaucoup moins difficile. L'occasion d'une grande longueur, comme Zian les affectionne. Je démarre donc à corde tendue dans du terrain aisé, puis aborde le bouclier central de dalles. 75 mètres non-stop, dans un terrain enchanteur.


Alors que je rédige ce texte, à six mois de distance, j'ai encore dans les bouts des doigts et des pieds les sensations exactes et précises de cet enchaînement de mouvements d'équilibre variés et plaisants. Je ne cessais de me souffler en pensée : “Doucement… Profite !” tandis que les prises semblent apparaître comme par magie.


Pour le final, une courte dalle lisse, inclinée, pourrait ressembler à une allégorie de la perfection… Mais foin de lyrisme !

Nouvelle pause sur la prairie couleur paille. Ce balcon avec vue sur le lac et le Mont-Blanc est somptueux. Un endroit où l'on aimerait rester longtemps. Nous y stationnerons une vingtaine de minutes en devisant gaiement.
Il a été prévu d'emporter les chaussures pour une descente pédestre, histoire d'éviter la répétition des rappels.


Nous montons légèrement pour tirer à gauche et nous engager dans des couloirs bordés de dalles lumineuses.


Un automate-météo “bipe” par instants, vision technologique inattendue, un brin extraterrestre. “C'est comme du canyoning en dry”, me dis-je, satisfait de mon calembour anglicisant.


Le final sera un névé, étonnant survivant du printemps précédent, sur lequel quelques traces de ramasse vont s'inscrire. Et revoilà le sentier…


14 heures. Il est temps de rentrer. Zian a très envie d'aller jusqu'à Argentière au guidon de son VTT assisté. J'accepte de me charger de sa voiture, non sans déplorer : “Abandonné par mon guide en pleine montagne ? On ne m'aura décidément rien épargné !”

La route, qui montait légèrement à l'aller… descend légèrement au retour (quelle logique !) Tout va donc très bien, y compris la traversée de la voute du barrage. Après, pour la remontée, je vais devoir ravaler mon petit orgueil et remonter jusqu'au dinosaure en poussant le vélo, à pied, doublé par des touristes hilares… Comme quoi la perfection n'est pas de ce monde (mais il s'en faut de peu) !