vendredi 10 juillet 2009

Un Index majeur

Le site TVMountain met en ligne régulièrement des vidéos d'alpinisme toujours passionnantes. On y trouve une ascension de l'aiguille de l'Index, dans les aiguilles Rouges, qui mérite le voyage. Jean Afannasieff conduit sa cliente sur l'arête sud, classique parmi les classiques.


Le film est un vrai bonheur d'humour et de qualité technique. Les angles de prises de vues, très bien choisis, donnent une ampleur inédite à l'escalade. Jean Afannasieff n'hésite pas à prononcer quelques aphorismes bien sentis, tel celui-ci : “la paroi, déjà verticale, se redressait encore…” citation fleurant bon la période héroïque de l'alpinisme dont Afannasieff est l'un des représentants, malgré son jeune âge. Avec Pierre Mazeaud, Kurt Diemberger et Nicolas Jaeger, il parvint au sommet de l'Everest en 1978, lors de sa première ascension française. On consultera sur son site Web tous les détails de ses impressionnantes réussites en alpinisme ainsi que sa copieuse filmographie (il est aussi cinéaste de montagne).

jeudi 25 juin 2009

Tour Ronde, couloir Gervasutti


Sommet de la tour Ronde, 25 juin 2009, dix heures du matin.

Pihu-le-choucas accueille la cordée.
– Eh bien voilà, vous avez fini par y arriver !
– Facile à dire, pour toi !
– Note cependant que je suis à l'heure, après vous avoir surveillé pendant que vous remontiez ce couloir Gervasutti. Mais dis-moi, pourquoi aller pour la huitième fois sur ce sommet ?


La tour Ronde, face nord. Le couloir Gervasutti se trouve à droite, en versant ouest.

– Parce qu'il est beau et que ses voies d'ascension sont belles également. Mais toi, combien de fois es-tu monté ici ?
– Moi, ce n'est pas pareil. C'est mon métier, en quelque sorte…
– Tu pourrais te contenter de rester près des refuges, c'est plus commode.
– C'est vrai. Mais les sommets, c'est plus élégant. Et vous êtes si amusants, les humains ! C'est qui, ton guide ?
– Il se prénomme Pascal. J'avais été avec lui au mont Aiguille et au Grand Paradis. Un gars super !


À mi-hauteur du couloir Gervasutti.

– Des copains m'en ont parlé. Tu la connais, celle-là ? Chez nous, le guide c'est celui qui vole. Chez vous, c'est celui qui ne vole pas !
– Je reconnais là ton sens de l'humour.
– Quelques miettes de Grany seraient les bienvenues. Ça ouvre l'appétit l'altitude.
– Les voilà.
– Merci…
– C'est qu'il nous reste à descendre la voie normale, par cette chaleur.
– Ça oui, je te plains. On va encore se gondoler en vous observant ramper laborieusement jusqu'au col du Géant !
– Ah, c'est malin ! Que je ne te voies pas voleter autour de nous…
– Pas de souci, je vais aller faire la tournée des grands ducs aux alentours. Friandises au menu.
– Tu vas où ?
– Confidentiel défense. Quoique, je peux y déroger pour toi. Approche.
– Oui ?
– Pyramide du Tacul, Pointe Lachenal, aiguille du Plan et peut-être un petit détour du côté du Peigne s'il n'y a pas trop de concurrence.
– Et l'aiguille du Midi ?
– Trop bondé, trop galvaudé.
– Tu n'as pas tort.
– Dis-moi, ils ne seraient pas écossais, ces sympathiques alpinistes qui sont avec vous au sommet ?
– Tu dois avoir raison. Ah, ces choucas et leur don pour les langues !
– Demande-leur de vous prendre en photo.
– Bonne idée. Sorry, would you mind to take a picture of us ?
– Wouah, l'accent !
– Chuuut !


Pascal, le guide et Jean-Luc, le monchu et son “chapeau de benêt” (dixit son épouse), photographiés par nos amis écossais (“fromage” lancèrent-ils pour nous faire sourire).

– Et dis-moi, ces piolets, tu as vu leur marque ?
– Leur marque ? Ah oui, c'est marrant : Blackbird !
– Hé, hé ! Il ne leur reste plus qu'à avoir un bec jaune, comme moi, même si je suis quand même plus baraqué qu'un merle.


Les deux piolets utilisés durant la montée.

– Si ça se trouve, ils sont presque aussi vieux que toi !
– Comment cela ?
– Eh oui, ils datent de 1993, je crois.
– Meuh non ! Tu sais bien que j'ai plus de trente ans. Et ces piolets, ils ancrent toujours ?
– Ben tu l'as vu, dans le couloir, j'ai bien monté.
Chi va piano…
Va sano. E lontano, aussi ! Inutile d'ironiser.
– Allons, pour un quinqua, c'est pas trop mal, deux heures pour remonter le couloir.
– Oui, je sais. Toi, tu mets deux minutes.
– Et encore, par vent contraire.


Deux vues plongeantes sur le couloir Gervasutti

– N'empêche, c'est assez raide, quand même.
– Je te l'accorde. Même moi, je ne m'y pose pas. Les choucas ne sont pas comme les dahus.
– Ah ! Tu vois qu'on est pas si patauds que cela, nous, les humains.
– Ouaif !
– On est quand même partis avant cinq heures du matin du refuge Torino.


La fenêtre de la chambre du refuge Torino cadre à la perfection la Noire de Peuterey, les Dames anglaises et l'aiguille de la Brenva.

Vecchio ou nuovo ?
Nuovo, jeune, quoi.
– Pas tant que ça…
– Bon, c'est vrai, il vieillit tranquillement…
– Comme toi !
– Grr ! En tout cas, leur nourriture n'est pas exceptionnelle. Comme le dit un Italien sur CampToCamp : “Colazione misera, adatta solamente per alpinisti a dieta”.

– Bon, c'est pas tout ça. Tu m'as donné faim avec ta colazione misera. Faut que j'y aille. Allez, à la prochaine !
– Bon vent et… bon appétit !

Vous me croirez si vous voulez, mais vous venez de lire la transcription presque mot pour mot de la conversation que j'ai tenue avec Pihu (le choucas) ce 25 juin. Comment puis-je comprendre leur langage ? Cela remonte à 1978. Avec Gilbert et Annick, nous gravissions le Grépon-Mer-de-Glace. À un moment, Gilbert a frôlé un nid de choucas en escaladant une fissure. La choucate lui a tourné autour de la tête en croassant vilainement, furieuse d'avoir été dérangée et soucieuse de protéger ses petits, dont Pihu. Je l'ai entendue distinctement grommeler : “Ces humains, ils nous laissent jamais tranquilles !” Et depuis ce jour, je comprends le langage des choucas…


Pascal observe la face nord de tour Ronde. Derrière lui, on reconnaît le mont Maudit et son arête Küffner. À droite, le Clocher et le Trident du Tacul.

lundi 4 mai 2009

L'art du medley

Si vous vous intéressez aux belles réalisations d'alpinisme, procurez-vous le dernier numéro du magazine Vertical (17, avril-mai 2009) pour y lire le récit de l'enchaînement de courses de Maxime Belleville et Julien Herry (déjà évoqué dans ces pages à cette adresse).
NB : on regrettera juste au passage que Vertical ne dispose pas de site Web (du moins est-ce l'impression retirée de quelques requêtes sur Google).

Le texte est titré “La fugue enchantée / l'art de la fugue”, métaphores bien trouvées puisqu'elles évoquent entre autres choses la musique, domaine dans lequel une fugue désigne l'entrecroisement de plusieurs thèmes musicaux qui forment un tout harmonieux. Or, quand y regarde de près, les trois itinéraires gravis par les deux alpinistes sont tous des combinaisons de plusieurs itinéraires, existants ou inédits. En poursuivant sur le même thème, on trouvera une évidente ressemblance avec les “medleys” anglo-saxons – mais si, allons, vous connaissez forcément la face B d'Abbey Road des Beatles et sa suite de morceaux disparates formant un bel ensemble, avec reprises et variantes. C'est exactement ce qu'on fait nos deux compères, que ce soit dans la face nord des Droites (ouverture d'une variante reliant deux portions de la voie Colton), la face nord des Jorasses (voie Ghirardini agrémentée de variantes) ou la face nord du Grand pilier d'angle (voies Cecchinel-Nominé et voie des Belges).

Un genre alpinistique nouveau tend donc à se répandre : la ré-interprétation d'itinéraires à partir de plusieurs cheminements, éventuellement modifiés, fugue, medley voire “remix” de DJ spécialistes de l'escalade mixte ;-)

jeudi 5 mars 2009

Jolie bambée !

Comment qualifier le très bel enchaînement réussi par Julien Herry et Max(ime) Belleville à la fin septembre dernier ? Une (très) longue et (très) jolie “bambée” semble une dénomination adaptée !

Les deux alpinistes ont en effet trouvé le moyen d'enchaîner en quatre jours trois des parois les plus hautes, difficiles et célèbres du massif du Mont-Blanc et ce bien qu'elles soient très éloignées les unes des autres. Pour chacune des trois montagnes, ils ont choisi des itinéraires toujours difficiles, voire en partie inédits. L'entreprise est élégante et fait beaucoup rêver le modeste pratiquant de la montagne qui signe ces lignes, d'où l'envie de l'évoquer dans ce blog – d'autant que Max a eu la gentillesse de me fournir quelques informations.


Ci-dessus: la face nord des Droites et l'itinéraire gravi (*)

Le 24 septembre, les deux compères ont “décollé” du refuge d'Argentière à 3h du matin et atteint la rimaye de la face nord des Droites vers 4h. Ils ont alors gravi la redoutable paroi en une dizaine d'heures, empruntant une combinaison des itinéraires parmi les plus difficiles. Ils ont ainsi surmonté l'important rempart de dalles redressées dans le tiers supérieur de la paroi en commençant par “Maria Callas Memorium” puis en utilisant des placages de glace conduisant en diagonale vers la sortie de la voie Colton (ceux qui ont la chance de disposer du très beau topo de François Damilano pourront imaginer le tracé page 124 entre les itinéraires 250 et 251).


Ci-dessus : la flèche pointe sur le “bastion” rocheux supérieur.

Arrivés au sommet à 14h, Max et Julien ont entamé une longue descente les conduisant six heures plus tard au refuge de Leschaux, où ils ont passé la nuit.

Le lendemain, ils sont partis vers 5h pour rejoindre la face nord des Grandes Jorasses, attaquant vers 7h30 dans le secteur des pointes Marguerite et Young. Ils avaient choisi de reprendre une voie peu parcourue, dont l'ouverture avait de surcroît été réalisée dans des circonstances particulières : le 22 juin 1994, Ivano Ghirardini et Slavko Sveticic avaient gravi 600 mètres de concert avant que le second ne décide (le lendemain) de prendre la tangente, tandis que le premier découvrait une goulotte cachée lui permettant de sortir au voisinage de la pointe Young (dernière pointe des Jorasses à droite). Ghirardini baptisa la voie “Rêve éphémère d'alpiniste”, la coulée de glace qu'il avait inaugurée ayant trouvé le moyen de fondre quelques heures après son ascension.


Ci-dessus : la voie “Rêve éphémère d'alpiniste” attaque à droite de la face Nord, rejoint un éperon et passe derrière pour suivre la goulotte “éphémère” (*).

Après avoir suivi – et vraisemblablement assorti de variantes – la voie précitée en sept heures, Julien et Max atteignaient la pointe Young et descendaient passer leur deuxième nuit au bivouac Canzio.


Le lendemain, ils effectuaient, selon les termes de Max, la “liaison” avec le refuge de la Fourche. Un euphémisme pour cette longue traversée d'arêtes passant par la Calotte, le Dôme et l'aiguille de Rochefort, le col du Géant et les pentes menant à la Fourche !

Le 27 septembre, quatrième jour pour un final d'ampleur : les deux alpinistes ont quitté le refuge-bivouac vers 3h30 pour atteindre le pied du Grand Pilier d'Angle vers 6h. Bien que figurant parmi les 4000 officiellement référencés, malgré sa hauteur exceptionnelle de mille mètres, ce Grand Pilier a attendu longtemps d'être intronisé comme une montagne à part entière à cause de ses prestigieux voisins et voisines : la Blanche de Peuterey et… sa majesté le mont Blanc en personne. Il faudra attendre la première ascension de cette paroi complexe par Bonatti et Zappelli en 1962 pour que justice soit rendue à celui que les topos ont siglé “GPA”. Depuis, une dizaine d'itinéraires y ont été tracés, dont l'entrelacs a de quoi décontenancer le plus expert des “topositeurs” (sauf Damilano, qui a plus d'une corde à son arc).


Ci-dessus, de gauche à droite (*) : la Blanche de Peuterey, le Grand Pilier d'Angle (4243 m), le mont Blanc de Courmayeur (4748 m) et le mont Blanc (tout court et à 4808 m).
Nos deux alpinistes ont combiné semble-t-il deux itinéraires, attaquant tout à gauche de la paroi par la voie des Belges pour sortir plus ou moins par la Cecchinel-Nominé, une combinaison certainement efficace et encore plus certainement difficile. Une fois parvenus à 4243 mètres d'altitude, en haut du pilier, il ne leur restait plus qu'à suivre l'arête jusqu'au sommet, soit encore un très long parcours, qu'ils ont atteint vers 17h30…

À consulter aussi : http://www.thebmc.co.uk/News.aspx?id=2885

(*) Photos aimablement fournies par Maxime Belleville

Post-scriptum du 4 mai 2009 : compléments d'informations à la page http://jeanluctafforeau.blogspot.com/2009/05/medley.html.

lundi 19 janvier 2009

Paul Auster & René Belletto

La lecture de Brooklyn Follies de Paul Auster procure un réel plaisir. Fluidité du style, intelligence de l'histoire, personnages humains attachants et crédibles. Bref, un enchantement. N'étant pas critique littéraire, je me bornerai à un petit clin d'œil à René Belletto, spécialiste des descriptions de "bruits " automobiles, qui trouve là un élève doué sinon un maître, ainsi qu'en témoignent ces quelques lignes :
La voiture produisit l’un des bruits les plus étranges de toute l’histoire de l’automobile. […] Gloussement rauque ? Pizzicati hoquetants ? Un pandémonium de rigolades ? […] Un vacarme qui semblait sorti du gosier d’une oie en train d’étouffer ou celui d’un chimpanzé ivre. Finalement, les spasmes s’unifièrent en une seule note prolongée, une éructation à la sonorité de tuba, qui aurait pu passer pour un renvoi humain. Pas exactement le rot d’un buveur de bière satisfait, plutôt un bruit rappelant le grondement lent et douloureux d’une indigestion, une décharge d’air s’échappant dans des tonalités de basse de l’œsophage d’un homme affligé au dernier degré de brûlures d’estomac.
Ce devait être aussi un assez joli défi de traduction – du moins pour un angliciste modeste tel que votre serviteur – quand on compare ce texte avec la version originale :
The engine coughed forth one of the most peculiar noises in automotive history. […] Raucous chortling? Hiccupping pizzicati? A pandemonium of guffaws? […] something that might have come from the mouth of a chocking goose or a drunken chimpanzee. Eventually, the guffaws modulated into a single, drawn-out note, a loud, tuba-like eructation that could have passed for a human burp. Not exactly the belch of a satisfied beer drunker, but a sound that recalled the slow, agonizing rumble of indigestion, a basso discharge of air seeping from the throat of a man afflicted with terminal heartburn.
Tout juste me permettrai-je de relever et rappeler que "eventually" se traduit bien par "finalement" et non par "éventuellement" – une pique contre les anglicismes snobinards que j'abhorre. Et pour conclure citons l'auteur qui nous offre un joli petit aphorisme à la fin de l'avant-dernier chapitre :
Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des livres. / One should never underestimate the power of books.
Peut-être exagère-t-il mais, pour ma part, je trouve qu'il y a de ça. À graver au fronton de toutes les librairies et maisons d'éditions… ce que je me suis empressé de faire sur le site de "mes" éditions AO. Allez-y voir, chers internautes, l'adresse est www.ao-editions.com.