samedi 21 août 2010

La chance d'être là-haut

Les randonnées, les ascensions en montagne sont des moments si rares et fugitifs que, durant ces quelques heures,  je me suis répété “tu as de la chance d'être là”, comme pour retenir l'instant présent.
Qui dit “chance” dit aussi “probabilité”. Car ce jeudi 19 août, il m'aura fallu beaucoup de chance pour aller gravir la petite aiguille Verte, guidé par Max (-ime Belleville). Voir son site à ce lien.
Les Grands Montets et la station de téléphérique, vus depuis la rimaye de la voie normale (photo MB)
Les météorologues, au bord de la crise de nerfs, ne savaient plus quoi prédire. Tôt le matin, une épaisse couche nuageuse couvrait tout le massif au-dessus de 3000 m. Le téléphérique des Grands-Montets, qui devait nous déposer à pied d'œuvre, avait mesuré un vent à 108 km/h vers 7 heures du matin. Hors de question de “tourner” dans ces conditions.

J'ai retrouvé Max comme prévu vers 8h. Dubitatif, il m'a proposé d'aller boire un café au “Dahu” en attendant que ça se précise. Une heure plus tard, alors que les installations ouvraient enfin (vent à 54 km/h), le choix a été cornélien : “soit on monte pour voir, avec le risque de redescendre, soit on reporte à demain… c'est comme tu veux.”
Brève réflexion : “Allons-y voir !” finis-je par admettre.
Bien nous en a pris ! La cabinière du second tronçon nous souhaite “bon vent !” avec un humour “à froid”. Nous nous réfugions chez Karim, qui tient la minuscule et néanmoins hospitalière buvette. Second arrêt-buffet !

La petite Verte est à moitié masquée par les nuages. Ce n'est qu'à 10h que nous nous équipons au col, sous un vent violent. Chance : dès que nous aurons franchi la première pente, nous serons à l'abri.

Il en résultera une ascension en ambiance mystérieuse, variée, dans une neige fraîche parfois profonde (photo MB).
Comme aiment le faire les guides, Max va tracer son propre itinéraire, tout à gauche sous la Demi-lune. Hors de question de suivre les traces de nos voisins ! La rimaye passe bien et, au-dessus, ce seront une cinquantaine de mètres de jolie pente à 45° avec un bloc placé juste où il faut pour qu'un Friend assure la diagonale qui suit, avant que l'on ne s'infiltre entre deux autres gros blocs de granite.

La Demi-lune a l'élégance des structures naturelles sculptées par le vent. Aujourd'hui, elle revêt un voile de mystère…

Juste au-dessus, on rallie la voie normale directement, dans une neige vierge de tout passage (photo MB).

Ensuite, nous gagnons le sommet, via le célébrissime “mur” où des milliers de débutants se sont initiés au placement des pointes-avant de crampons sur les réglettes de quartz (photo MB).

Depuis le sommet, les nuages mettent en scène un chassé-croisé sur les nombreuses pointes jalonnant l'arête des Grands-Montets de la Verte – la Grande Verte – qui restera pour sa part obstinément invisible, ne dévoilant que les pentes inférieures du Nant Blanc, toujours aussi sévères.

Pour de la chance, c'est de la chance ! Qui l'eût cru en observant la montagne ce matin ? Oui, j'ai eu “de la chance d'être là”. Merci à Max de m'avoir conduit là-haut avec talent et enthousiasme ! (Et merci z'aussi pour les clichés qu'il a réalisés et m'a transmis, signalés par la mention “photo MB”).

Bonus vidéo :

“Bon vent !!”

Max fait la trace dans la Demi-lune.

dimanche 8 août 2010

Fruitful Trails

L'expédition du 7 août 2010 avait pour objectif de progresser dans une longue vallée inconnue, quasi himalayenne dans ses dimensions titanesques. De nombreuses heures furent nécessaires pour atteindre un lac niché au cœur du “wilderness”.

Comme l'un des membres de l'expédition était logé dans une chambre d'hôtel à Méribel, le nom du lac fut aisé à trouver : ce serait le lac de la Chambre.

La reconnaissance devait permettre de découvrir une voie d'accès au mont de Péclet (3012 m), à gauche sur cette photo. La formidable paroi qui défend l'accès à cette montagne pouvait être examinée depuis un sommet secondaire – et néanmoins formidable dans les défenses qu'il oppose aux alpinistes – le petit mont de Péclet (2750 m), à droite sur la photo. Encore fallait-il découvrir un cheminement…

Jean-Luc fut désigné à l'unanimité des membres de l'expédition pour tracer une ligne sur cette vierge (et formidable) paroi, aussi haute que la tour de la Part-Dieu, soit plus de 150 m (les Lyonnais apprécieront l'exploit).

Au fur et à mesure que le sommet semblait s'approcher… il s'éloignait. La pente, de débonnaire, devint vite redoutable, voire patibulaire. La couche de neige fraîche tombée l'avant-veille compliquait la tâche des ascensionnistes, qui devaient unir leurs efforts pour se frayer un chemin dans ce terrain complexe.
Benoît ne manqua pas, avec son lyrisme habituel, de noter l'étrange ressemblance entre le petit mont de Péclet et la mont Aiguille, clin d'œil historique qui redonna soudain énergie et vitalité aux protagonistes de cette aventure (formidable).
Les “surplombs noirs” défendaient l'accès au sommet.
Jean-Luc fit une tentative sur la gauche de la barre de toits, sans succès, ce qui l'obligea à une retraite exposée, sous les conseils (et l'appareil photographique) de Benoît.
Le retour, via la “traversée diabolique”, exigea de contourner un ressaut escarpé sans pour autant perdre le chapeau ni la tête. La photographie (non truquée®) donne une idée de l'engagement de l'ascensionniste.
La tension nerveuse et l'altitude perturbaient les conditions de prises de vues. On distingue cependant sur ce cliché le “dièdre des Dieux”, vainement tenté par Jean-Luc “by fair means” (c'est-à-dire sans aucun matériel additionnel, comme disent nos amis britanniques).
Enfin, ce fut l'arête de droite qui marqua la fin de la résistance de la Montagne aux assauts de ses prétendants. Ayant laissé leur matériel sur un rocher au bord du lac, les deux alpinistes durent affronter “à mains nues” l'ultime ressaut (enfin, des mains presque nues puisque habillées de gants pour éviter les gelures dans ce climat polaire).
Des passages formidables, de sixième degré selon toute vraisemblance.

Enfin, après des heures d'efforts, ils purent se dresser au sommet du petit mont de Péclet.
De là, il semblait possible d'atteindre le (grand) mont de Péclet, moyennant la pose de quelques cordes fixes et d'un camp intermédiaire d'altitude. Ce serait l'objectif de la prochaine expédition…

Benoît compléta le tour d'horizon en désignant au photographe l'aiguille du Fruit, qui allait donner son nom à ce récit palpitant : fruitful trails – ce qui doit signifier en français, sauf erreur ou omission, des “traces de fruits”, sans que l'on puisse cependant préciser de quels fruits il s'agit exactement. On notera à gauche de l'aiguille du Fruit la (formidable) face sud des Grandes Jorasses.

Une longue retraite sera nécessaire pour rejoindre le camp de base, à Méribel-Mottaret, où l'équipe de soutien attendait impatiemment des nouvelles de l'expédition (dans le wilderness, curieusement, les iphones ne peuvent établir de connexion, ce qui est regrettable). La soif devait cruellement éprouver les membres de l'expédition jusqu'à la découverte opportune d'une fontaine. Il ne leur restait plus qu'à reprendre leur (longue) marche en direction de Mottaret, qui leur parut infinie. Et pourtant, tout a une fin, même l'infini, oserons-nous.

NB : si l'exagération peut parfois avoir traversé ce récit, ce n'est que fugacement et dans de tout petits détails. Car il y avait de ça, veuillez me croire !

mercredi 21 avril 2010

Kilucru

Le charme des coquilles ! Notre orthographe complexe les favorise, en particulier avec ces fichus circonflexes. Ainsi l'expression “kilucru”. À votre avis, comment s'écrit-elle ? Le Monde, dans son édition du 21 avril, page 17, nous suggère ceci :
Bigre ! De quoi avoir des doutes… Pour “l'eût”, on se laisse convaincre en tentant de se remémorer le conditionnel passé deuxième forme, à comparer au classique “qui l'aurait”. Mais pour “crû” ? Une rapide vérification nous confirme qu'il s'agirait du verbe “croître”, dont on distingue le participe passé d'un circonflexe, contrairement au verbe “croire”. Dans ce cas, cependant, il n'est pas question de croissance… C'était donc bien “qui l'eût cru” que nous aurions dû lire (ou, pour reprendre le conditionnel passé deuxième forme, que nous eussions dû lire).

La rareté des coquilles dans le quotidien du soir et la virtuosité des chroniqueurs nous interdisent de prendre ceci de haut. Toute personne qui écrit sait qu'elle est à la merci de telles erreurs, l'auteur de ces lignes en tête. Les journalistes du Monde n'en sont que plus humains à nos yeux – et donc encore plus estimables !

samedi 13 mars 2010

Hors la loi

Je viens d’achever la lecture de Hors la loi, de René Belletto. Une lecture fébrile, fascinante, mêlant le plaisir des mots, de la ponctuation – si subtile ! – et de la conjugaison, au service d’une intrigue complexe, traversée d’une foule de personnages denses et attachants, en forme de boucle (sans fin ?), dramatique et dramatisée, riche en coïncidences et en mystères.
Paru début mars 2010, 496 pages, 19,90 €, édité par P.O.L ISBN 978-2-8180-0007-6 EAN 9782818000076

Non, je ne suis pas critique littéraire, aussi ne me lancerai-je point dans l’exercice, déçu, irrité et horripilé par celui de Marine Landrot dans Télérama, qui ne semble écrit que pour étaler la culture de la signataire… Aussi me bornerai-je à ces notes de lecture, évoquant quelques phrases, quelques subjonctifs, bien sûr, quelques mots rares et quelque coquille cocasse – quoique encore plus rare…

Vous n’aimez pas le subjonctif imparfait ? Lisez ce roman et vous changerez d’avis. La phonétique inattendue de ce temps de la conjugaison confère une sorte d’emphase au style qui devient vite familière au lecteur et le rend complice des émotions du narrateur. Quelques exemples (les chiffres entre parenthèses indiquent les numéros de pages).
  • “Il fallut bien me lever, il fallut bien que mes jambes tinssent bon.” (170)
  • Une descente d’escalier : “Je m’abandonnais avec volupté aux lois de la pesanteur, laissant mes jambes exécuter à leur guise les mouvements seuls que leur commandait l’instinct pour que je ne chusse pas.” (445)
  • À propos d’idées musicales à développer : “Deux d’entre elles me plurent assez pour que je consacrasse une heure à un début de mise en forme plus poussée.” (407)
  • Et peut-être le plus beau, en un moment palpitant : “L’effroi de ma situation paralysait mes jambes, tandis que le danger exigeait que je les musse.” (286)
Le plaisir des mots, de ceux que parfois on ignore (enfin, en ce qui me concerne !), et qui donnent tout leur sel aux descriptions. “échapper à leur cautèle” (179) un fait “adventice” (287) une “enclouure” (368) “les lignes alliciantes de sa beauté” (372) J'y ajouterai “le vieil fol” (170), à la place d'un “vieux fou”.

Voici comment Luis Archer, le narrateur, évoque Irène, et la relation torride qu’il allait entretenir avec elle durant quelques jours :
“Il est vrai aussi qu’elle s’était emberloquée de moi avant que nous nous fussions vus, qu’elle s’agriffa à moi avec ardeur…” (380)
Deux phrases sur la solitude et l'écoulement du temps m'ont spécialement marqué :
“J’étais seul dans mon étrange prison intérieure, sur la porte de laquelle je m’acharnais en vain depuis des temps immémoriaux – j’avais pourtant une clé, mais la porte ne devait pas avoir de serrure, voilà, j’avais la clé d’une porte sans serrure.”
“Les mois passaient comme des jours et les années comme des semaines, et ainsi dix années lancinantes s’enfuirent comme une seule, qui fila comme l’instant, sans que rien changeât.”
Dieu que c’est juste !

N'oublions pas le charme des coquilles (rarissimes), minuscules défauts qui ne font que rehausser la beauté du texte, de la même façon que ce sont les minuscules défauts du visage d'une femme qui rehaussent sa beauté (on notera ici la tentative du blogueur, récent rescapé d'une formation à la correction de texte, qui cherche par avance à excuser ses propres coquilles…)
  • “je déjeune iciavec lui” (234)
  • “aux courts ccheveux blonds” (283)
  • me m’empressant (double espace) de…” (410) Là, le correcteur a des excuses. Cette portion de phrase est extraite du chapitre 19, torride (et crue) description de la relation de Luis Archer et Irène, qui n'aura pas manqué de distraire le professionnel, au point de laisser ce “me m’” et la double espace qui suit. Nous laisserons au lecteur le soin d'aller voir ce que le narrateur se préparait à accomplir (“de…”) !
Terminons par le plus beau, ce quatrain, dont on reparlera peut-être (*) :
Amours rêvés de ma jeunesse
Se sont enfuis avec le temps
Mais que jamais ne disparaisse
Le souvenir que je t'attends.
Un grand bravo à René Belletto !

(*) Ajout du 6 juillet 2016
Ce quatrain, ainsi que d'autres, figurait déjà au début de Régis Mille l'éventreur, et est repris également dans Créature. René Belletto l'attribue à une chanteuse, Nadine Rhode, qui ne semble pas exister (ce qui reste à établir).