dimanche 16 septembre 2018

L'été de mes 60 ans (6)

Épisode 6 - 19-20 août - Dans un autre monde

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

L'épisode 6 de la série est un “double durée”, véritable expédition quasi himalayenne – n'ayant pas peur des galéjades – 1300 mètres de dénivelée, de la crèmerie d'Argentière jusqu'aux Rachasses (altitude 2600 m). Presque trois jours dans un autre monde, avec un camp d'altitude grand confort au refuge de Lognan (2032 m).

Au sommaire : une “via corda” suivie d'une “via corsica” (comprendre : “corsée”), sur du granite tour à tour poli (et aimable) ou rude (et âpre). Deux signatures locales, Zian Charlet tout d'abord, Sylvain Ravanel ensuite, deux lignes étonnantes aux écritures bien différentes, aux dénominations surprenantes : “Aventures alpines®” pour la via corda, “Nain-nain et Nunu” pour la via corsica, un brin nunuche – mais c'est le privilège des ouvreurs de baptiser leurs voies.

Première partie : Via corda


Qu'on nous permette ici de relever le don de Zian pour “titrer” passages et itinéraires, talent auquel un éditeur de livres ne peut qu'être sensible (d'où les ® parsemés dans ce texte, pour signaler lesdits titres, ironisant sur les marques déposées). L'équipe victorieuse et amicale de la Petite Verte de la balade pour V.V. est reconstituée, à mon grand bonheur : je partagerai de nouveau les relais (et les agapes) avec Laurie et Zian.


Des panneaux avertissent les impétrants que le canyon du glacier est bien cet “autre monde”, bordé de cascades et d'abruptes falaises argentées, tapissé de blocs au milieu desquels coule un torrent frétillant et capricieux.


Flashback soudain quand Zian m'aide à traverser les eaux cristallines, je revois mon père me tendant la main sur la Mer de Glace – j'avais 4 ans.


Travelling avant, retour vers le futur. 2018 : je suis dans le canyon, avec Zian et Laurie pour la troisième fois de l'été. Quelle chance j'ai !


C-LA®, dit le tag à la peinture jaune. Encordement. Je retrouve avec plaisir ces dalles arrondies déjà parcourues en 2014. “Vous en pensez quoi ?” s'enquiert l'auteur, fier de sa création. Faussement râleur, je lui réponds : “Magnifique ! C'est vrai qu'il n'y pas de prises de main… et pas de prises de pied non plus !”


Le dièdre de 200 centimètres® marque la fin de la première partie et l'accès à La Nationale 7®, longue vire horizontale bordée de gazons ras, lieu de pique-nique idéal. On est les rois du monde, ici !


Nouvelle succession de dalles arrondies avant d'aborder La Traversée des dieux®, passage ludique en adhérence sur un granite qu'on jurerait sculpté en stries parallèles par un des ces artistes obstinés et systématiques (Soulage ? Buren ? Non : glacier d'Argentière). Elle préfigure la traversée du Diable qui nous attend pour le lendemain (mais n'anticipons pas trop).

“C'est sûr ? On va descendre là-dessous ?…”

Le rappel sans retour®. C'est la (terrible) appellation du rappel qui nous dépose dans une soupe morainique instable et granuleuse. L'idée ? Rejoindre le petit éperon ouvert par Zian et Christophe en 2014. En seulement quatre années, tout a changé, le glacier s'est dérobé, le tag jaune est hors de portée… Alors ? Sans retour, comment faire ?!

Malice du guide, qui fait mentir son appellation contrôlée, et inaugure une voie nouvelle – en baskets s'il vous plaît, la remontée sans retour, avec même une variante en bon 3b+, ouverte en second par l'auteur de ces lignes (qui enfle d'orgueil derechef).

La Jungle®. Au travers de la végétation luxuriante, toujours encordés, Zian nous guide dans “sa” jungle, où des lianes de métal ou de chanvre, complétées de prises taillées il y a plus d'un siècle, donnent accès aux ultimes lacets du sentier archéologique, débouchant sur la terrasse exactement (comme dirait Gainsbourg®)…


…où des boissons étourdissantes nous attendent – récompense de nos aventures alpines.


Tout comme la veille au soir, les averses pluvieuses ménagent le suspense, tandis que croûtes au fromage mitonnées par Christophe et conversations animées auprès du poêle à bois réchauffent l'atmosphère – les soirées d'août sont fraîches à 2032 m. Joyeuse tablée rassemblant les rires et exclamations (par ordre alphabétique) de Christophe, Herman, Laurie, Maria et Zian (et Zorglub, alias myself). De quoi sera fait la partie 2 de l'épisode 6 ?

Deuxième partie : Via corsica

Petites angoisses du matin, vite calmées par le grille-pain et les expressos, les pensées encore confuses. Tout se mélange : après les dalles de Neversex, voici la pointe Amour – dénomination © Sylvain Ravanel pour les Rachasses (les noms en “asse”, c'est vite vulgaire); Zian nous révèle avoir gravi la voie “Nain-Nain Nunu” (nunuche !) avec une copine anglaise, avant d'être guide, et en vibrams pour s'entraîner, ladite Anglaise lui ayant ainsi déclaré sa flamme : “I hate you !”. Pour ma part, j'ai zappé de vagues souvenirs d'une vidéo sur le net, pour faire place nette à la réalité.
Petites dissonances, vite dissoutes par la marche – plutôt la course – d'approche, où je reconnais “ma” voie normale des Grands de 2010 quand je parviens à lever les yeux et reprendre mon souffle.


Ça commence très “rude” : un ressaut acrobatique, que j'ai le privilège de contourner par la gauche, contrairement à Laurie qui, elle, suit le cheminement de son guide avec dévouement. Les extraits de vidéos ci-dessus montrent Sylvain Ravanel, l'auteur, dans ses (ces) œuvres athlétiques ! (Voir ici et ). Je dois dire que j'ai tout oublié des 50 mètres d'escalade qui suivent, tant j'ai dû m'employer. Wouah ! “Le granite, ça se mérite” est le proverbe du matin.


“Ah ! La voilà, cette traversée !”, s'exclame Zian, tout joyeux. Échanges de regards dubitatifs avec Laurie. La traversée du Diable, plutôt… 15 mètres au moins, parfois descendants, certes équipés de quatre bons spits, dans une ambiance aérienne… en diable. Équilibres subtils sur grattons fuyants de pieds, je passe en mode “vigilance orange orage”, points d'aide et concentration maximale, suivant Laurie de quelques mètres dans un grand silence.


Eh oui, on ne parle plus, silence dans les rangs, juste des claquements de mousquetons, et encore. Seul Zian commente, nous rassure tout en prenant des photos (ci-dessus, heureusement qu'il s'en est chargé, car moi…). Parvenant au relais, j'ai la bouche sèche, le souffle court, incapable de répondre au “ça va ?” du guide, pas plus que de sortir une blague du genre “va, je ne te hais point !” (Le Cid, acte III, scène 4).

Ci-dessus : ironie photographique. Nous paraissons debout sur le sol, alors qu'il est à 100 m en dessous. En zoomant, on distingue bien les points d'assurage de la traversée.

Contraction/extension du temps : cette longueur achevée, terminée, surmontée, n'en aura pas moins paru sans fin, même si je me répétais comme un mantra: “Chaque pas, même petit, me rapproche du relais.”


La suite reste dans ce registre atypique, avec des descentes, remontées, traversées de couloirs, cheminée lisse et sortie aérienne.


Du relais 4, nous observons notre leader, qui soulage à intervalles réguliers les muscles de ses bras en les secouant vivement – ça promet ! – tandis qu'il suit une ligne brisée en escaliers, encore une traversée ! (photo ci-dessus extraite du site Gemsa).

Je vais encore “laisser des points d'aide” dans cette longueur sinueuse, complexe et fatigante. Petite pause pour étancher nos soifs, tout en découvrant l'impressionnante longueur finale, fissure rectiligne, de plus en plus raide, et de plus en plus rouge. Nouvelle performance athlétique du guide. C'est de l'escalade, ou de l'haltérophilie, cette voie ?

Au pied du mur. Je me suis cru malin en indiquant à Laurie une prise de pied gauche, tel un coach… qui restera scotché sous le premier spit, ladite prise de pied au niveau du casque. J'vois plus personne, Seigneur, ils m'ont abandonné ! Multiples essais, j'décolle pas… Mon inconscient topoïste m'a fait remarquer l'anneau de rappel en contrebas. Et voilà, “mon vieux”, tu vas faire ta nouvelle première : le refus d'obstacle ! Forfait ! Je parviens à m'expliquer et descend m'attacher au rappel. Puis Zian et Laurie me rejoignent. Plus penaud que penaud, je me confonds en excuses, et je suis “en même temps” (le macronisme d'altitude) soulagé de ne pas avoir eu à affronter ces 25 mètres (trop) difficiles.

Ci-dessus : l'arête des Rachasses, photographiée en 2010. Impossible de dire s'il s'agit de la face où nous avons grimpé, le secteur est trop complexe.

Rappel. Avec surprise, je m'aperçois que mes mains et bras sont constellés de griffures, éraflures et écorchures. Jolie métaphore de mes blessures d'amour-propre. Amour, cette pointe ? Non, môssieur, coït interrompu ! noterait le psy de service. Et puis merde ! Je descends avec application les quelque 55 mètres de rappel en grande partie surplombants. Ah, quelle aventure alpine, mes aïeux ! Du tire-bras avec du tire-clous bien corsé. La via corsica du jour. Les poignées de main sont enfin échangées entre les trois de la cordée. Là-haut, on était trop préoccupés. Je remercie Zian pour sa maestria, Laurie pour sa mansuétude bienveillante de “seconde” (le “troisième” étant resté en rade), tandis que nous vidons les gourdes d'eau et achevons les cacahuètes et autres vivres de course.

Ci-dessus : approche vers les Rachasses (2010), avant le ressaut du torrent.

Est-ce la légèreté soudaine d'en avoir terminé ? Nous dévalons jusqu'au refuge “comme des avions”, suivant les sentiers secrets “à la corse” (sic !) que Zian identifie entre rhodos et cailloux, effarouchant les promeneurs, tels des ours sauvages tout juste “réintroduits” dans le Massif.

Pour conclure, las de recopier mon carnet, je vous en livre quelques lignes d'écriture manuscrite, gageant que Google ne saura pas les indexer (quoique ?)


En granite, les Rachasses ? Pas si sûr, me dit Zian quelques semaines après cette ascension. Diable ! Voilà que mon système de défense se fissurait soudain… Mes avocats bossent sur la question jour et nuit ; nous vous tiendrons informés.

Nouvelle conclusion, alors…
Une quinzaine de jours après ces “aventures alpines”, Paul McCartney publiait un nouvel album, Egypt Station. En fan qui se respecte, je me le procurai le jour de sa sortie, le 7 septembre. J'allais y découvrir un morceau qui résume bien le carpe diem de cet été, “Do It Now“, dont voici un extrait :
“Do it now, do it now
While the vision is clear
Do it now
While the feeling is here
If you leave it too late
It could all disappear
Do it now
While your vision is clear”

L'été de mes 60 ans (5)

Épisode 5 - 4 août - Dalles de Néversex, “Nessie”

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

Le mont Blanc s'éteint derrière l'épaule de la pointe Bayeux (vue depuis le Vieux-Servoz)

En sous-titre, The Last Weekend, le compte à rebours avant un événement important – que seuls les initiés connaissent – étant proche du Zéro. De quoi avoir envie d'un baroud d'honneur, comme dit Bob Morane, pour lequel j'ai sollicité Zian.

The Rouges Aiguilles in the Blanc-Mont Massif
C'est le topo de Michel Piola, Cham Eau Noire, The Aiguilles Rouges, en version anglaise, qui offrait un bonus absent de la VF. Nous restons donc dans l'ambiance bilingue de cet été ! Procurez-le-vous sans attendre, c'est une mine. Il est rare que je parcoure des voies Piola, généralement au-dessus de mon niveau. La dernière ? C'était “Les lépidoptères”, en 1994, sa seule voie D inf. (ou presque) c'est dire… Pourtant, une voie Piola, c'est un label, garantissant le bonheur de l'escalade, croyez-moi, je vais essayer d'en faire ici la démonstration.

Le secteur du lac d'Émosson ? Un lieu enchanteur que je n'hésiterai pas à qualifier de paradis. Je l'avais déjà expérimenté avec “Dark Veudale” il y a quelques années. Comme toujours, si mon guide avait validé l'entreprise, j'étais dans mes petits souliers (d'escalade) en songeant aux 5c qui m'attendaient. Neversex ? Une appellation anglophone étrange, propice aux jeux de mots. Une voie pour ecclésiastiques, moines-soldats de la varappe ? Que nenni.

En route ! La Veudale sur la droite

Après une heure de cheminement quasi horizontal sur la rive droite du lac, on découvre l'attaque, une jolie dalle verte située sous le chemin, preuve de l'inventivité de l'ouvreur. Un 5a qui remet sur les pieds. Traversée du chemin pour la seconde longueur, plus difficile, qui commence directement du sentier (5b+).

Un grimpeur dans la fissure de L3, photographié en rappel à la descente, dont je n'ai malheureusement pas les coordonnées… S'il se reconnaît, qu'il me contacte afin que je lui envoie son “contrat de droit à l'image de 200 pages” que je lui promettais, et qui déclencha son aimable sourire

La L3 impressionne : une fissure au royaume des dalles ! Visiblement exhumée sous la végétation, elle me permet de retrouver de très vieux réflexes, coincements de paume par exemple. J'étais dubitatif quand Zian m'avait dit “Tu vas aimer”. Eh bien si, tout autant que le rétablissement très délicat qui suit, un vrai 5c.

Ciel ! mon mari ! Dans les longueurs finales

La suite est d'une grande homogénéité. Du 5b avec de vrais morceaux de 5c dedans. Grâce aux Chéserys et à Vallorcine, je parviens à jouer l'anti-procrastination et à passer vite… et bien, sans aucun point d'aide, rendant grâce au “Dieu des ouvertures”, mister Piola et son diable de Nessie, le monstre qui, dit-il, hante les eaux bleues du lac et sort une tête pour happer d'un coup de gueule les impudents grimpeurs venus lui chatouiller les flancs.

Une alpiniste attaque la L4, avec son bombement très délicat en 5c, tandis que Zian s'enfuit en rappel

Nous aurons survécu, nombreux dans la voie, à juste titre très populaire, avec un fort contingent de grimpeuses d'ailleurs (mais #Neversex, donc… avec un croisement en rappel au relais où je déploie des trésors d'ingéniosité pour ne point frôler de trop près la relayeuse).


Les trois dernières longueurs sont homogènes, avec chacune ses passages-clé en 5c. Je viens de retrouver une phrase de René Belletto, extraite de son roman Hors la loi, qui s'applique assez bien au ressenti de ces longueurs (surtout avec leur subjonctif que j'adore) : “Je m’abandonnais avec volupté aux lois de la pesanteur, laissant mes jambes exécuter à leur guise les mouvements seuls que leur commandait l’instinct pour que je ne chusse pas.”

Le grimpeur s'acharne tandis que le “monstre” se baigne,
débonnaire, la gueulaz dans le lac. Malgré la canicule, des névés opiniâtres persistent

Je retrouve cet ancien défaut : quand c'est difficile, j'arrête de respirer, comme si le mouvement d'inspiration allait me faire perdre l'équilibre ! De justesse, la lucidité me revient et j'inspire à grandes goulées, avant d'effectuer le pas suivant. Pour moi, quand il y a deux pas “sans prises”, c'est du 5b. Quand on passe à quatre pas, c'est le 5c. Un-deux-trois-quatre… sorti !

Le guide prend la pose au dernier relais : “Ben, finalement, tu y es arrivé, hein ?
Qu'est-ce que je disais ?”

Le territoire suisse a du bon : cet endroit, pourtant aménagé (une centrale hydroélectrique d'une puissance comparable à celle d'une centrale nucléaire est sous nos pieds) conserve sa beauté intrinsèque, le barrage étant, à mes yeux, un des rares ouvrages humains capables de s'intégrer harmonieusement aux montagnes.

Le “monstre” ne bouge toujours pas, vite, un dernier rappel…

Quant au monstre, nous ne le verrons pas. Aurait-il eu peur des dinosaures ? Pas impossible…
Au col de la Gueulaz (j'adore ce nom !), nous cédons aux sirènes du lac, plus aimables que Nessie, pour déguster quelques boissons désaltérantes en contemplant l'immense panorama qui s'étend devant nous, de l'aiguille du Tour au mont Blanc.

Je convoque encore une fois René Belletto, pour ce quatrain dont il est, je crois, l'auteur, au parfum délicat de nostalgie bienveillante, en guise d'adieu aux temps passés que j'évoquais en introduction :
Amours rêvés de ma jeunesse
Se sont enfuis avec le temps
Mais que jamais ne disparaisse
Le souvenir que je t'attends

Je me jure d'y retourner, dans ce paradis…

samedi 15 septembre 2018

L'été des mes 60 ans (4)

Épisode 4 - 30 juillet - Les Chéserys, “Balade pour V.V”

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

Ah, les Chéserys ! L'amour fou des dalles de gneiss, qui me conduit pour la neuvième fois (*) dans ce secteur paradisiaque – n'ayons pas peur des superlatifs. L'équipe victorieuse de la Petite Verte est reconstituée : Zian-l'Argentéraud en premier de cordée, Laurie-du-canton-de-Vaud en co-seconde (ci-dessous).


Non sans malice, j'avais négocié un rendez-vous “sur place”, ce qui me permet de faire l'approche tranquillement, rejoint par les deux trailers à l'heure convenue – exactitude suisse de circonstance.
La voie de ce 30 juillet se situe dans le secteur “Aubade”, au développement plus important que les autres secteurs : plus de 200 m, contre 120 à 150 ailleurs. La photo de l'itinéraire publiée dans le topo de Burnier et Potard (références en fin de billet) donnait envie, malgré des cotations trop élevées semblait-il. Des recherches sur le web semblant les atténuer, c'était l'occasion de tenter cette “balade”, validée par Zian, un critère de confiance !

Cinq grandes longueurs vont s'enchaîner. Titillé par le topo, je bénéficie d'une concentration ad hoc. Avec Laurie, nous alternons – second(e) ou troisième. La première longueur, brève, est en 4c/5a. La seconde envolée s'achève par un petit mur en 5b+ subtil (ci-dessous).


Au-dessus, deux longueurs de dalles couchées (départ en 4c, puis 3a) forment un intermède esssouflant – tentation d'aller vite. Le finale est de très haute tenue : 50 mètres soutenus, en 5a/5b+, avec un passage louvoyant lisse et technique (un point de repos sur racine de rhodo, est-ce permis ?). À 4 mètres du relais, où Laurie et Zian m'observent tout sourire, il faut encore m'employer dans un ressaut délicat, cristallin, proche du granite. Un petit sapin marque la fin des difficultés.

La dernière longueur (50 mètres) se termine au pied d'un petit sapin

Pour m'encourager, Zian invente un de ses proverbes humoristiques : « Du 6a à 60 ans ? Du 7a à 70 ! » Merci, m'sieur le guide ! (Oui, je sais, ce n'est pas du 6a, c'est, comme le disent les contributeurs de CtoC : “une voie facile”).
Trois grands rappels nous ramènent au sol, d'où une descente dans les “teppes” permet de retrouver les sacs – et une gourde d'eau rêvée par des gosiers asséchés par le soleil et les rires.


Les rappels : d'abord le guide, ci-dessus, qui démêle les cordes et trouve les ancrages, puis les deux clients, ci-dessous Laurie qui entame le premier rappel


Même procédé pour le retour : je laisse courir mes jeunes amis, non sans avoir noté le lieu du rendez-vous : la Boërne, où nos soifs seront enfin vraiment étanchées, voir ci-dessous :

Paparazza : Laurie © en exclusivité

Après la “ballade” dans les dalles de gneiss, l'ambiance est au beau fixe à la Boërne. Que du bonheur pour cette journée gaie et ensoleillée !

Nous ne saurions trop vous recommander de vous procurer le topo “Vallée de Chamonix, sites d'escalade”, de François Burnier et Dominique Potard.
Le topo de “Balade pour V.V.” figure page 193 de l'édition 2015 (ISBN 978-2-910672-20-4).

La voie a été ouverte par François Burnier (également auteur du topo, donc), Victor Burnier et Denis Poussin en 2014.
Il semble bien qu'il s'agisse d'une “balade” (promenade) et non d'une “ballade” (musicale, aubade…)

Nos remerciements pour ce bel itinéraire !


(*) Le syndrome des listes va encore frapper :

1. Voie de l'EHM (5 juillet 1987)
2. Voie Blanche (1 long. D. et W. Ravanel) (5 juillet 1987)
3. Voie Jaune (26 mai 1991)
4. Voie Aubade (1 octobre 2011)
5. Voie La Blonde (24 octobre 2012)
6. Voie Greg Buffat (3 septembre 2014)
7. Voie La Rousse (3 septembre 2014)
8. Voie Rouge (19 juillet 2016)
9. Une balade pour V.V. (30 juillet 2018)

L'été de mes 60 ans (3)


Épisode 3 - 25 juillet - “Vallo”

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

Vallo ? Rien à voir avec une ex-ministre de l'éducation nationale, ni avec une ex-première dame. Non, “Vallo” est le diminutif de Vallorcine, et désigne la jolie falaise d'escalade (90 m de haut) située à deux pas de la gare homonyme, sur la commune dont le nom viendrait du latin vallis ursina, “Vallée des Ours”.
C'est Zian qui m'avait convaincu d'aller “faire des gammes” sur ce granite d'apparence lisse et pourtant “prisu”. Nous gravirons deux itinéraires. D'abord une combinaison de trois itinéraires se terminant par l'élégant “Pilier de Vallorcine”, à base de dalles fendues de minces fissures opportunes en 4b/4c. À nos côtés résonnent de nouveau des phrases en anglais, preuve s'il en était besoin, que les anglophones sont nombreux, y compris dans la Vallée des Ours (bears) – Stuck inside of nos dalles with the dévisse blues again (les dylaniens apprécieront… ou pas !).


Seconde partie dans laquelle je retrouve avec surprise de très vieux réflexes enfouis depuis des décennies dans les recoins de mon cerveau de monchu : “Courage… dülfons !” propose une vraie “dülfer”, technique athlétique qu'a priori j'apprécie peu, qui, ce coup-ci, fonctionne, pour une dizaine de mètres d'opposition résolue et sans repos. Un 4c/5a finalement réjouissant. En descendant en rappel, je reconnais les dalles de la voie “Traces de grizzli”, où j'avais bataillé dans les années quatre-vingt avec Gilbert ou Christian (6a+).


Allons ! Il est temps de rentrer à Villeurbanne compter les aspirateurs, épilateurs, yaourtières et fontaines à bière pour un de mes fidèles clients, avant de retourner là-haut pour le prochain épisode.

Remerciements à Zian pour les photos (et l'assurage !)

dimanche 9 septembre 2018

L'été de mes 60 ans (2)

Épisode 2 - 23 juillet - Petite Aiguille Verte

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Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8

Après les Aiguilles Rouges, le côté Mont-Blanc. Changement de versant, de décor, de technique et d'équipage. Nous serons trois, ce 23 juillet. Je retrouve ma timidité naturelle au moment d'aborder la jeune femme qui arrive à la station du téléphérique : “Vous êtes bien la cliente de Zian ?” J'ai toujours apprécié les cordées de trois. Un premier et… deux seconds, plus de travail pour le guide, certes, et plus de convivialité pour les “monchus”, qui se soutiennent moralement. Non sans appréhension : serai-je à la hauteur ?
J'aime ces trajets en téléphériques, calmes et fébriles à la fois, tandis que la benne glisse sur le câble et que l'air se rafraîchit à toute allure. Grands Montets, 3295 m. En face, la Petite Aiguille Verte, 3512 m, de la vraie haute montagne facile d'accès, où je vais retourner pour la treizième fois (1).


Une chance inouïe ! En cet été caniculaire, une récente précipitation a déposé de la neige fraîche, immaculée et scintillante sur la glace grisâtre qui enlaidissait les pentes. L'approche est menée à un rythme de trentenaires – encordé, je ne peux que suivre, en silence, mieux vaut économiser son souffle plutôt que de l'épuiser à râler, après tout…


L'itinéraire dit de la “Demi-Lune” consiste à aborder les pentes sur la gauche, par quelques brèves longueurs assez raides. Ah, quel plaisir de monter plus lentement et de se concentrer sur piolet et crampons ! Rimaye, piolet canne ou ancre, encoches pour les pieds, un terrain récréatif.


Croisement avec Marc (qu'on aperçoit en contrebas ci-dessus) et son client sur la demi-lune. Comme moi, Marc a été monchu, étant jeune ; il est aujourd'hui guide (et a été enseignant à l'ENSA !)… alors que je suis toujours monchu ! Son cliché est des plus réussis (ci-dessous), juste avant que la corde ne me rappelle qu'on m'attend, un peu plus haut.


La fonte des neiges éternelles a mis au jour des blocs formant boîte aux lettres, dans laquelle nous nous glissons, avant d'aborder le “mur” final, aux fissures conçues spécialement pour les pointes avant des crampons. La cordée de trois fonctionne à merveille, Laurie et Zian, par leur “coolitude” de trentenaires, donnent des ailes au sexagénaire. Halte sommitale égayée de produits frais en provenance directe de Suisse – le pays de Laurie.


La descente par la voie normale me paraît plus longue et délicate que dans mes souvenirs. Il faut dire que la glace n'est pas loin, sous la neige fraîche. Je rougis d'aise quand Zian me lance un “vas-y Armand” tandis que je mets un point d'honneur à cramponner face au vide, les pieds en canard… Une longue procession anglophone s'échelonne sur l'itinéraire, nouveau clin d'œil britannique. La rimaye est bouchée, ce qui m'étonne compte tenu des conditions.


Le retour au col des Grands Montets est rapide et aisé. Je laisse les “jeunes” remonter les volées de marches métalliques à toute allure, et les rejoins à la buvette où une bière m'attend, délicate attention, et première pour moi en altitude (“C'est salé, et ma foi désaltérant”, pensé-je en la dégustant). Ah, çà, on est bien, vraiment bien, là-haut, après l'effort, tous les trois à deviser gaiement face aux Drus… Pourquoi donc faut-il redescendre, hein ?


Le même endroit, une semaine plus tard. Le contraste est saisissant. La montagne martyrisée par la canicule…

Addendum : bien nous en a pris de profiter de cette opportunité d'aller à la Petite Verte… Le 11 septembre 2018 (date symbolique), un incendie accidentel devait ravager la gare de Lognan et détruire l'ensemble de l'installation du téléphérique ! À ce jour (juillet 2019), la réouverture est prévue, au mieux, en 2022.

(1) Les alpinistes sont souvent des obsessionnels des listes. Exemple.


Remerciements à Marc, Laurie et Zian pour les photos.

dimanche 2 septembre 2018

L'été de mes 60 ans (1)

En attendant l'apocalypse annoncée, carpe diem pour quelques jours encore, là-haut, dans les montagnes – avant qu'elles ne s'écroulent. Quel titre leur donner ? “L'été de mes soixante ans”, tiens, par exemple, terrible constat du temps qui a passé… Or, s'il y a des lieux où le temps ne s'écoule pas de la même façon, c'est bien en montagne. Croyez-moi ou pas, ces instants de bonheur, qui semblent a posteriori avoir duré quelques secondes, ont eu leurs arrêts sur images proches de l'infini.

Sommaire de la série :
Épisode 1Épisode 2Épisode 3Épisode 4Épisode 5Épisode 6Épisode 7Épisode 8


Épisode 1 - 20 juillet, Hotel California à Planpraz

La voie d'escalade s'appelle “Hotel California”, l'auteur (lisez : “ouvreur”) en est une fois encore Manu Méot, qui sait découvrir des rochers grimpables là où le néophyte ne voit que chaos de végétation, et dont j'avais déjà apprécié La Saumonée ou Label Virginie.

Située à deux pas du téléphérique de Planpraz, la voie commence au bord du sentier, et nous emmène dans quatre ressauts successifs, dix longueurs en quatrième degré, flirtant parfois avec le cinquième.
Le style d'escalade privilégie ce que j'appellerais des “petits murs à becquets”, brefs passages dans lesquels les prises salvatrices (ou salutaires) apparaissent comme par magie au moment où on commence à les prier ardemment de se manifester. Notre cordée, guide et vétéran, est suivie d'une autre, deux Britanniques dont le second affiche au compteur une décennie de plus que l'auteur de ses lignes – comme quoi…

Au chapitre des petits incidents de parcours ?
(1) Des cordes emmêlées par mes soins, sous-titrées avec talent par nos amis anglais, “big f… knots”.
(2) La dixième et dernière longueur, dans un ressaut indépendant, qui s'avère notablement plus difficile que les précédentes, et surtout très athlétique, un genre que je prise (ha ! ha !) peu. D'où une séance de ce qu'on pourrait nommer du “A-triple zéro” (les praticiens comprendront), trois essais et beaucoup d'énergie pour sortir du piège (une photo du passage est visible sur Camp-to-Camp). À croire que les ouvreurs ont voulu, comme dans la chanson des Eagles, réserver le plus dur pour la fin – le solo de guitare en musique, le surplomb redoutable pour l'alpinisme…


C'est à Zian que je dois tout le plaisir de cette sortie : m'avoir précédé, assuré, rassuré, encouragé, photographié, haler presque (à ne pas confondre avec “hâler”), en résumé, guidé, dans ces ressauts de gneiss – ah, le gneiss ! – dans la bonne humeur et la compétence les plus aiguisées. Remerciements à Christophe P. pour ces clichés pris du dixième relais et le salut de la photo figurant plus haut.

Bonus vidéo : “Big F… Knots ” (VO)



Big F… Knots : notre président de la République s'emmêle dans les métaphores

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que cet extrait du discours sur le plan pauvreté du 12 septembre est pour le moins embrouillé (c'est nous qui soulignons). La corde me paraît curieusement extensible, et la notion de “derniers de cordée” (au pluriel) pas vraiment “alpinistique” si je puis me permettre… Pour tout dire, je préfère partir en course avec Zian qu'avec Manu (avec mes excuses au président).
« Mais considérer que ces trois projets sont indissociables et qu'on n'en réussit pas un sans les autres, ce combat, c'est un combat de justice, de dignité, de responsabilité, n'oublier personne, c'est dire en quelque sorte comme diraient certains, au premier de cordée : n'oubliez pas les derniers de cordée. Et je crois beaucoup, moi, à cette métaphore, pour celles et ceux qui aiment la montagne. Un premier de cordée, il a une corde et il est rattaché à d’autres, et c’est à dessein que j’ai employé cette formule. Il y a toujours des gens pour ouvrir une voie, il y a des gens plus véloces, il y a des gens qui ont plus de chances, il y a tout un tas de raisons. Mais il en faut ! Et tirer sur la corde pour qu’il monte moins vite n’aidera pas ceux qui restent en bas, c’est faux. Et c’est ce qu’on fait, depuis des années parfois : tirons la corde du premier qu’il n’aille pas galoper dans les hauteurs de la montagne, des fois qu’il aille voir le col et passer derrière, ça n’aide en rien ceux qui restent en bas de la montagne. Mais que celui qui monte se souvient qu'il a une corde, et cette corde, elle sert à quoi ? A l'assurer, il n'y a personne qui est premier de cordée s'il (sic) reste de la société ne suit pas. […] Cette cordée, c'est la cohésion d'un pays, c’est nous, et donc j'attends de chacune et chacun pour réussir cela, et ce combat, ce à quoi vous avez travaillé, et ce pourquoi je veux vous remercier, ça n'est pas l'affaire de quelques-uns, ça n'est pas l'affaire de celles et ceux qui resteraient d'un côté de la corde, ça n'est pas non plus un plan et une stratégie du seul gouvernement ou d'une seule ministre, Madame la Ministre... quel que soit votre engagement, et je vous remercie de celui-là »