lundi 5 septembre 2016

It's only rock climbing, but we like it : la “Saumonée”

Dix heures du matin, ce samedi du mois d'août. La benne du téléphérique vient de nous déposer au sommet du Brévent (2525 m), d'où nous descendons en direction de l'objectif du jour, la voie d'escalade “La Saumonée”. Ambiance détendue : quel contraste avec tous ces “ultra” qui nous entourent ! Les ultra-trailers, en train de courir en ce moment même comme des fous sur le tour du Mont-Blanc; les ultra-windsurfers, que nous venons de voir tomber comme des pierres depuis la terrasse sommitale, voler au ras des aiguilles et des sapins, et atterrir une minute plus tard à Chamonix…

Le mont Blanc en plein centre, les regards convergent vers la longueur finale de la “Saumonée”, qui démarre à proximité du bloc pointu sur la droite. Ce sera pour tout à l'heure.

C'est une cordée de trois qui s'est formée au gré des circonstances. Une cordée rassemblant trois générations : le tout jeune Jules, le déjà bien vieux Jean-Luc, conduits par le guide Zian, deux fois 24 ans d'écart – à vous de résoudre cette équation à trois inconnues !

Arrivée au gendarme pointu : Jules, une cordée britannique, et, bon dernier, l'auteur de ces lignes.

Évitons si possible d'envartoiller les cordes, ce serait très mal vu par le guide (qui prend la photo).

Ah ça, on ne pourra se plaindre d'une approche trop longue – 20 minutes de descente –, ni d'un retour trop pénible – 8 minutes chrono ! C'est que la voie ouverte par le guide Manu Méot, Morgan et Jérémy Franc les 13 et 14 août 2001 fournit un parfait exemple de l'“escalade-plaisir” vantée dans le topo publié aux éditions Olizane par Hervé Galley.

(1) L'attaque, invisible (2) Un grimpeur au premier relais (3) Le dièdre fissuré (4) Le gendarme pointu (5) Le sommet du bouclier de dalles (6) L'attaque des cannelures (7) Le sommet (8) Vers la longueur finale.

L'aspect a priori “décousu” de l'itinéraire disparaît dès que l'on commence à grimper. Le rocher est excellent, et la plupart des longueurs sont typées, de caractère, dans des registres variés : dièdre à feuillets et fissures, bouclier de dalles, cannelures raides à becquets parcimonieusement disposés, arêtes aériennes et délicates. La difficulté reste homogène en quatrième degré, plutôt à majorité 4c, avec quelques brefs passages de cinquième degré.

Ci-contre : une cordée dans la première longueur. Le mur de pierres sur la droite n'est aucunement naturel (et la voie n'y passe pas, d'ailleurs). Selon toute probabilité, il doit s'agir d'une sorte de paravalanche…

Le passage-clé (crux), un mouvement de 5b, exécuté par Zian “façon danseur”, pour dépasser un petit surplomb.

Jules en pleine “lecture” des prises…

… consent néanmoins à prendre la pose, et avec le sourire s'il vous plaît !

C'est là qu'il faut “se lâcher”, avoir le bras long…

… pour passer du bon côté ! (“Là, me suis-je dit in petto, va falloir assurer, mon bonhomme !”)

La sortie du même bouclier. Notre suiveur britannique reaches the belay, tandis que sa seconde l'assure 25 mètres plus bas.

Et l'harmonie de la cordée sera un motif supplémentaire d'agrément. Notre jeune Jules grimpe avec concentration, jamais tenté par le moindre point d'aide – contrairement au vieux monchu, qui ne cédera cependant pas à la tentation malgré deux passages… diaboliques. Ce ne sont que politesses au départ des relais, tandis que Zian s'assure avec sa technique et sa verve habituelle que nous progressons en toute sécurité.
Le T-shirt que j'ai choisi ce matin-là représente Tintin à New York. Il intrigue mon compagnon de cordée, au point qu'il me pose une question-piège : Tintin est-il blond… ou roux ? Diable ! Je n'y avais guère songé, malgré une lecture des albums remontant à l'époque de ma première dent de lait mise sous verre (une recherche sur le web montre que le débat n'est pas tranché).

Le rappel de dix mètres, notre guide en pleine action.

Ci-contre : leçon du guide à son élève (peu attentif ?). Il faut rappeler la corde, en donnant un coup de fil sur la verte. Rien compris : quel rapport avec mon smartphone et l'aiguille Verte ?

Dans ces moments, il y a comme une légèreté, une félicité calme et intense qui émane de chaque mouvement d'escalade. La toile de fond – faut-il le rappeler ? – est incomparable et contribue à l'allégresse de ces deux heures et demie de progression.

Après le petit rappel, la cordée traverse une allée de blocs pour se rendre au pied d'une très belle longueur en cannelures, 30 mètres soutenus en 4c, avec un pas un peu plus dur à mi-parcours, bien décrite par Hervé Galley : “assez chamoniard, prises franches mais espacées”. Et là, reconnaissons que Jules a droit à un supplément de bon 5b, jeunesse oblige !

Que se passe-t-il ? Les vétérans envoient carrément le plus jeune en tête. Zian chausse ses baskets, et le monchu s'interroge.

Après tout, pourquoi ne pas s'offrir une petite variante, chemin faisant ?

À la sortie de l'ultime relais, une chanson des Stones (pierres !), venue d'on ne sait où, se fait subitement entendre, affirmant : “It's only rock'n'roll, but I like it”. Enlevez le “roll” et vous avez la devise de cette ascension.

It's only rock climbing, but we like it. Le leader britannique en haut des cannelures.

Ce n'est pas fini ! La voie se poursuit par une ultime grande longueur de 40 mètres (divisible) sur le flanc gauche de la falaise-école du Brévent. Une moitié en 4b délicat, une autre en 3b aisé. Les nuages annoncent l'orage spectaculaire qui éclatera longtemps après notre retour dans la vallée, à l'heure du dîner.

Belle ambiance dans la longueur finale.

Pour le moment, c'est l'heure du déjeuner : midi et demi au second (et vrai) sommet de “La Saumonée”, poignées de mains et remerciements au guide pour ces quelque 200 mètres de joie de grimper, félicitations à Jules pour sa gentillesse et son application !

Chaleureux remerciements aussi aux auteurs de la voie, au premier rang desquels Manu Méot, dont j'avais également gravi Label Virginie l'année dernière. Sur le nom de la voie, il semble qu'une transmission orale, ou bien on ne sait quelles coquilles éditoriales, l'aient fait progressivement évoluer de “Saumonée” à “Somonée” puis à “Somone”. Y avait-il un rapport avec les stries de la chair du saumon, ou bien une autre explication existe-t-elle ?

Scoop : dans le bouclier de dalles, nous avions aperçu des scellements, sur la droite de l'itinéraire. Sur Camp-to-Camp, j'apprendrai par la suite qu'une cordée avait rencontré le “maître Piola” en personne, en train d'ouvrir une nouvelle voie dans ce secteur. Voilà qui donne l'impression, tandis qu'on enregistre sa chanson dans un studio, d'y croiser Paul McCartney !…