mercredi 3 septembre 2014

Un doublé aux Chéserys

Les qualités de la falaise des Chéserys, au-dessus d'Argentière (Haute-Savoie) sont connues : accès aisé, rocher agréablement sculpté, itinéraires nombreux, microclimat tempéré, environnement magnifique… Elle n'a qu'un seul défaut : la hauteur des voies se limite à 100-160 mètres – à l'exception de la voie “Aubade” (200 m). D'où l'idée d'enchaîner deux itinéraires. Plus de 300 m d'escalade, un joli chiffre, qui exige cependant plus de persévérance qu'une ascension d'une traite, car la première descente en rappels rompt le rythme et déconcentre, même si, en un sens, elle permet aussi de se reposer les muscles.

D'où cette formule qui résume bien notre journée du 3 septembre :
« Aux Chéserys, un unique itinéraire laisse sur sa faim ; mais deux itinéraires, ça rassasie ! »


Épisode 1 : la voie “Greg-Buffat” - une coproduction réussie
Comme les chansons des Beatles, cette voie a deux compositeurs. Le McCartney, c'est Greg Liscot, qui l'a ouverte en 1997 ; le Lennon – les Lennon en réalité – ce sont Sylvain et Julie Ravanel, qui ont complété l'équipement et ajouté trois longueurs plus soutenues que la sortie originale, en 2000. Il en résulte un joyau très homogène en 4c.

Après les trois longueurs originales en dalles, ce sont trois passages bien typés qui s'enchaînent : un mur raide, au rocher sombre, bien prisu ; une dalle en traversée aérienne (ci-dessus), et enfin une petite fissure dans laquelle une main peut se coincer en guise de conclusion.

Sous la conduite de Zian Charlet (ci-contre), j'ai donc eu la joie de gravir ces six longueurs en une heure, les progressions à corde tendue ayant réduit les arrêts-relais. De quoi sentir les muscles des cuisses, bien plus sollicités que ceux des bras étant donné le style des passages. Avec un expert en rappels, la descente a été tout aussi rapide, trois longs rappels “à discrétion”, entrecoupés de petites désescalades.

Outre les photos qu'il a eu l'amabilité de prendre, Zian s'est improvisé vidéaste pour ces deux petites séquences, sous-titrées “de l'art d'assurer son client tout en le filmant” ! Vous remarquerez le vent – les brins d'herbe s'agitent, la concentration du second, dûment casqué…

Première partie



Seconde partie




Épisode 2 : la voie “La Rousse” - exigeante et espiègle
Honte au blogueur : il m'aura fallu deux ans pour comprendre pourquoi l'équipe “Grobéty” a baptisé trois de ses voies de dénominations thématiques sur les couleurs de cheveux ! En effet, “la Brune”, “la Blonde” et “la Rousse” (2009) sont chacune voisine des itinéraires historiques, désignés par trois couleurs : Noir, Jaune et Rouge. Tout simplement ! Si la première est au-delà de mon niveau (6a obligatoire) et donc inenvisageable, la seconde m'avait procuré d'agréables moments d'escalade en octobre 2012, en dépit d'une ampleur limitée.

Alors, quid de cette “Rousse” ? Le topo était attrayant avec ses longueurs en 5b. Idéal après l'échauffement de la Greg-Buffat. À une nuance près : un surplomb coté 6a. Je retrouvai là la configuration de la voie Spitnik aux dalles de Pré-de-Bar, qui oppose un passage déversant et athlétique au milieu d'une ambiance de dalles. Par goût – et surtout par constitution physique – les surplombs ne m'attirent guère. L'au-delà de la verticale me turlupine par construction !


Après trois longueurs homogènes en 4c avec de nombreux passages de 5b (voire un chouïa au-dessus), on relaye à droite d'un ressaut noirâtre. Le surplomb annoncé impressionne : à l'ombre, légèrement humide, haut de quelque quatre ou cinq mètres et sans aucun doute déversant (flèche sur la photo ci-dessus).

Son franchissement est acrobatique, les mouvements complexes, au point qu'on peut se demander si une prise-clé n'a pas cassé depuis l'ouverture. Par bonheur, les deux spits très proches autorisent quelques mouvements d'“A-zéro” pour un grimpeur de mon niveau, même s'il faut s'employer pour se rétablir au-dessus du dévers, en prenant garde à démousquetonner à temps, sans pour autant récupérer trop vite le matos.

L'avis du guide sur le passage reste dubitatif, au point qu'il s'autorisa deux essais. Il est vrai que ce dévers un brin tordu tranche singulièrement sur le style et le niveau d'ensemble de l'itinéraire. C'était semble-t-il le seul moyen d'accéder à la partie supérieure, très belle avec ses passages de 5b en fissure ou bombement, pas si évidents que cela ! On absoudra donc les ouvreurs, les remerciant sincèrement d'avoir découvert cette “Rousse” exigeante et espiègle, un caractère somme toute très juste – l'auteur de ces lignes en parle en connaissance de cause !

Ci-dessus : le franchissement du “mini-surplomb” au départ de L3.

Une heure trente d'escalade cette fois, pour une hauteur qui doit friser les 170 m. La descente en rappels gagnera à rejoindre la voie “Rouge”, ce qui évite de franchir le surplomb en rappel (relais désaxé) et réduit leur nombre tout en déposant les grimpeurs à proximité immédiate du départ, extrêmement proche. À ce propos, le nom peint au pied de la voie s'est effacé : il ne subsiste que le “L” de “La Rousse”, repérable sur un minuscule éperon arrondi placé sous un dièdre-cheminée de 4 mètres.

Nous avons eu le privilège d'être les seuls grimpeurs dans ces deux voies… quoique ! D'autres pratiquants, à l'aisance remarquable, s'étaient invités dans le voisinage.

Le topo de la voie Greg Buffat
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Ouverture : Greg Liscot (1997), compléments d'équipement et variante de sortie (70 m) par Sylvain et Julie Ravanel (septembre 2000).

Nous avons essayé d'apporter le plus grand soin à l'échelle de chaque longueur, sans cependant être certains de l'avoir parfaitement respectée.

La descente en rappels peut s'effectuer de plusieurs façons, certaines longueurs atteignant à peine 30 mètres. Attention toutefois aux risques de devoir désescalader des sections faciles, mais néanmoins exposées, avant de trouver l'ancrage suivant.
Le topo de la voie “La Rousse”
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Ouverture : André et Jacqueline Grobéty (septembre 2009).

Au départ de L2, un spit d'assurage avant de traverser une zone herbeuse est assez difficile à repérer. Mais il est bien là…
Le “mini-surplomb” en tout début de L3 se franchit par un pas athlétique très bref (le relais fournit un joli point d'aide !). Il s'évite facilement par la gauche.
Le “maxi-surplomb” de L4, avec deux points d'aide, est déjà athlétique et violent ; en libre, c'est un morceau de bravoure !
Il ne subsiste pas grand-chose de l'inscription à la peinture noire au pied de la voie, mais le dièdre cheminée encaissé et couronné d'herbes est assez aisément repérable, juste après avoir tourné l'angle de l'éperon séparant la voie “Rouge” de la voie “Rousse”.
Descente en 4 rappels avec compléments de désescalade possible (cordes de 50 m).

Les clins d'œil du hasard m'étonnent toujours. En redescendant vers Trélechamp, nous avons croisé un père et sa fille… une petite rousse ! L'ardeur avec laquelle la petite montait et redescendait sur tous les petits rochers qu'elle rencontrait augurait bien de l'avenir : peut-être ira-t-elle un jour gravir la voie qui porte son nom…

Et un grand merci à Zian pour m'avoir permis de passer ces heures merveilleuses aux Chéserys.

Si André et/ou Jacqueline Grobéty consultent cet article, je serais ravi de les remercier pour leurs itinéraires des Chéserys, et de discuter avec eux des circonstances de leur ouverture. Voir la page contact pour l'adresse de courriel. Merci !

Addendum juillet 2015
Hervé Thivierge, guide à Chamonix, publie régulièrement des topos sur son site web. Le 4 juin 2015, il a gravi la voie La Rousse. Il est toujours intéressant de comparer les cotations entre topos. Sur le sien, la L1 est cotée 5c. Est-ce que la dalle après la cheminée est plus difficile que je ne l'avais ressenti ? Le mini-surplomb du début de L3 est confirmé en 5c (ainsi que son évitement en 4b). Le crux reste en 6a (ou A0). Et le petit pas lisse et délicat de L5 confirme mon sentiment : 5c également.
Voir le sommaire complet des topos sur le site de Hervé Thivierge.