jeudi 4 septembre 2014

Aventures alpines : la via de Lognan

Depuis quelques années, nombre de “via corda” ou “via cordata” ont été tracées dans les massifs alpins. La définition ? Elle varie : parfois, il s'agit de “via ferrata” sans câbles – mais avec des éventuelles prises artificielles (barreaux, pédales) – d'autres fois de voies d'escalade peu difficiles, équipées de relais et de balisages, sans aucun artifice pour faciliter la progression.

Aventures alpines à Lognan
Récemment, j'ai eu le plaisir – et l'honneur ! – de gravir la via corda de Lognan guidé par son auteur, qui l'a imaginée, tracée et équipée au début de l'été 2014. Zian Charlet nous propose un itinéraire un cran au-dessus de ce qu'on entend habituellement par “via corda”. “Aventures alpines à Lognan” combine en effet une approche dans un cadre sauvage et un terrain morainique, suivie d'une escalade de dalles avec des passages de 4b (voire 4c), et d'un finale de randonnée escarpée et technique – pour laquelle il faut rester encordé.


Il s'agit donc d'une véritable petite course en montagne, se développant sur 800 mètres de dénivelé, soigneusement balisée et équipée pour l'assurage : spits de passage et de relais, amarrages et cordes fixes dans la randonnée supérieure. Une expérience certes ludique, mais toujours sérieuse, qui pourrait servir de test à ceux qui envisagent par exemple d'aller au mont Blanc par l'aiguille du Goûter.

Pour avoir gravi les deux via corda des Mottets, je peux préciser que celle-ci est à la fois plus difficile (ou moins facile selon les pratiquants) et de plus d'ampleur en raison de son approche et de sa sortie inattendues. Leur point commun est d'aboutir directement à un lieu où l'on peut se restaurer généreusement, et où l'on est accueilli avec convivialité : la buvette des Mottets dans un cas, le refuge de Lognan (2032 m) dans l'autre.

Acte I : approche sauvage
Dix minutes après le parking des Grands Montets, on dépasse la Crèmerie du Glacier (et l'héliport) et suit un sentier bien tracé qui, bientôt, débouche dans une gorge étroite. Des panneaux EDF nous signifient que nous sortons du monde civilisé. Tout comme en hiver, d'ailleurs, quand on va gravir les cascades dites de La Crèmerie, situées sous la piste de ski de Pierre à Ric. Des souvenirs hivernaux !


Le cheminement ressemble étrangement aux moraines de la Mer de Glace, mais avec un torrent qui coule au milieu. Il faut passer sur sa rive droite, et donc le traverser “au mieux”. On se trouve dans une zone qui, il y a seulement vingt ans, était encore remplie de la glace de la langue terminale du glacier. Lorsque la gorge s'élargit (on est à peu près à l'aplomb de la Pierre à Bosson), on franchit de nouveau le torrent pour rallier la rive gauche, là où démarre l'escalade : marque à la peinture jaune “CLA”. Sur la photo ci-dessous, on en a un aperçu au fond et à droite.


Il y a quelque chose de fascinant à traverser ces lieux sauvages, alors qu'on est à proximité immédiate d'une montagne très aménagée : station de ski des Grands Montets, installations EDF de captage d'eau… Qui l'eût cru ? Qui aurait cru qu'au fin fond de cette gorge se cachaient d'amusantes dalles rocheuses qui attendaient depuis des décennies les grimpeurs ?

Acte II : escalade de dalles

Ce sont pas moins de 11 petites longueurs qui ont été tracées par Zian ! En dénivelé, on ne dépasse guère les 200 mètres. La ligne directrice, en diagonale et complétée de traversées (marche), représente beaucoup plus en mètres d'escalade. On peut gravir ces longueurs en (bonnes) chaussures de randonnée – des Vibram sont recommandés.
Les passages de 4b en paraîtront d'autant plus délicats, petites prises de pied et presque rien pour les mains… Après les six premières longueurs, on traverse quasiment de niveau puis on remonte deux nouvelles longueurs d'escalade, jusqu'à une terrasse spacieuse, tapissée de mousses vertes : la “Nationale 7” (photo ci-dessous, vue sur le glacier imprenable).


En chaussures de randonnées, il faut retrouver des réflexes anciens – ou les acquérir pour les plus jeunes – et jauger l'adhérence des semelles, inférieure à celle de chaussons d'escalade. Et, ici, le salut ne viendra pas des prises de main, qui ne sont là que pour stabiliser le corps, certainement pas pour le tirer ! Le 4b devient, dans ces conditions, un défi proche du 5b en conditions “normales”. Voilà qui pimente l'expérience.


Bien sûr, il n'est pas indispensable de tirer toutes les longueurs en relayant, à condition que tant le premier de cordée que le second sachent communiquer pour éviter tout problème. Zian s'arrêtera bien quelques fois pour veiller à ma progression. Globalement, l'escalade peut être rapide si on se coordonne bien. Et rien n'empêche de rester bons-vivants, en prenant un casse-croûte sur le “parking” de la nationale 7 !

Ci-dessus : un OVNI nous surveillait… Comme quoi, même en ces lieux sauvages, tout peut arriver !

Les trois dernières longueurs figurent parmi les plus belles : un joli finale. Traversée sous un ressaut (attention à la tête !) le long d'un étroit balcon ; franchissement d'un bombement un peu plus redressé que les autres – 4c, « Ne tape pas sur le rocher, il ne t'a rien fait ! » observe Zian tandis que je tente de faire adhérer la main gauche avec vigueur ! ; traversée horizontale sur une dalle inclinée sans aucune prise de main, imposant de tester l'adhérence de la totalité des semelles.

Acte III : randonnée dans la jungle


Le regard concentré sur le rocher, je n'avais pas vu que l'ambiance devenait spectaculaire : on se trouve juste au-dessus du glacier fossile, cette langue glaciaire désolidarisée depuis deux décennies de sa source. Au fond, la muraille de séracs qui en atteste.

Curieux mélange : nous sommes dans un monde perdu, avec les traces de la civilisation au-dessus de nos têtes – le téléphérique EDF, qui dessert la prise d'eau.
Une balise jaune propose soit de monter, soit de descendre. En effet, les amateurs d'escalade plus difficile pourront faire un rappel de 15 mètres jusqu'au glacier, et aller gravir l'éperon à Kikounet, 4 longueurs en bon 5b pour lesquelles des chaussons d'escalade sont recommandés ! Ce n'est qu'une option. On peut tout aussi bien partir droit au-dessus, dans la “jungle”… Une jungle très civilisée cependant.
Ci-contre : le “monchu” ravi de son “aventure alpine”. L'éperon à Kikounet est visible à droite du chapeau !

Bref rappel historique : dans la première moitié du XXe siècle, alors que glacier était incomparablement plus volumineux, il était possible de le traverser, comme en atteste la vieille carte reproduite ci-contre (relevé de 1948). Un sentier descendait donc du refuge de Lognan, tandis qu'un autre, sur la rive droite, permettait de rallier ensuite le Planet. De nos jours, le sentier, devenu inutile et ne débouchant sur rien, est désaffecté… Sauf que Zian l'a exhumé de la couche de rhodos, herbes et arbustes qui l'envahissaient, retrouvant son tracé primitif. Encore fallait-il parcourir la zone mise au jour par la décrue du glacier, soit plus de 300 m ! Sur la carte, la glace est à 1875 m environ. Aujourd'hui, elle est sous les 1400 m… Le parcours des 300 mètres de la “jungle” pourrait faire l'objet d'une cotation “rando” difficile. R4 par exemple ! Ici, le terrain a été certes tracé (au coupe-coupe, comme dans les vraies jungles), mais il est souvent humide, herbeux bien sûr, et les cailloux qui le jalonnent manquent d'adhérence. Si la progression est facilitée par quelques cordes fixes, et même une chaîne datant des origines du sentier, il faut rester encordés, quitte à faire quelques relais pour s'assurer.

Un gros arbre, entouré d'un câble, marque la fin des difficultés. Un “broc” – ou “brai” – a été posé là par Zian afin d'annoncer votre retour à la civilisation. Au-dessus, les lacets réguliers de ce “sentier des Vieux” mène en une demi-heure au refuge, que l'on n'aperçoit qu'au tout dernier moment. C'est l'heure des agapes !


Le topo d'Aventures Alpines à Lognan


L'ensemble de l'itinéraire fait l'objet d'un balisage à la peinture jaune. Dans la première partie, le cheminement peut évoluer en fonction des caprices du torrent. La “via” évolue en terrain certes signalé, mais l'ensemble se situe dans un domaine “montagne”, avec ses aléas et les précautions qui en découlent, en particulier le débit du torrent, à estimer et surveiller. À noter que l'escalade n'est jamais facilitée par des artifices. La randonnée “jungle” est, en revanche, complétée de quelques cordes fixes.

Le dénivelé représente 800 mètres au total, une jolie bambée. Un horaire moyen pour parcourir l'itinéraire est de l'ordre de 4h30 : 1 heure d'approche, 2 heures d'escalade, 1h30 pour la randonnée conclusive. Mais on peut mettre beaucoup plus de temps – ou beaucoup moins si l'on a un tempérament de “trailers”.
Descente au choix… par le téléphérique de Lognan (à 20 minutes du refuge) ou par les sentiers habituels (1h30).
Matériel : 6 dégaines et une corde de 40 mètres.

mercredi 3 septembre 2014

Un doublé aux Chéserys

Les qualités de la falaise des Chéserys, au-dessus d'Argentière (Haute-Savoie) sont connues : accès aisé, rocher agréablement sculpté, itinéraires nombreux, microclimat tempéré, environnement magnifique… Elle n'a qu'un seul défaut : la hauteur des voies se limite à 100-160 mètres – à l'exception de la voie “Aubade” (200 m). D'où l'idée d'enchaîner deux itinéraires. Plus de 300 m d'escalade, un joli chiffre, qui exige cependant plus de persévérance qu'une ascension d'une traite, car la première descente en rappels rompt le rythme et déconcentre, même si, en un sens, elle permet aussi de se reposer les muscles.

D'où cette formule qui résume bien notre journée du 3 septembre :
« Aux Chéserys, un unique itinéraire laisse sur sa faim ; mais deux itinéraires, ça rassasie ! »


Épisode 1 : la voie “Greg-Buffat” - une coproduction réussie
Comme les chansons des Beatles, cette voie a deux compositeurs. Le McCartney, c'est Greg Liscot, qui l'a ouverte en 1997 ; le Lennon – les Lennon en réalité – ce sont Sylvain et Julie Ravanel, qui ont complété l'équipement et ajouté trois longueurs plus soutenues que la sortie originale, en 2000. Il en résulte un joyau très homogène en 4c.

Après les trois longueurs originales en dalles, ce sont trois passages bien typés qui s'enchaînent : un mur raide, au rocher sombre, bien prisu ; une dalle en traversée aérienne (ci-dessus), et enfin une petite fissure dans laquelle une main peut se coincer en guise de conclusion.

Sous la conduite de Zian Charlet (ci-contre), j'ai donc eu la joie de gravir ces six longueurs en une heure, les progressions à corde tendue ayant réduit les arrêts-relais. De quoi sentir les muscles des cuisses, bien plus sollicités que ceux des bras étant donné le style des passages. Avec un expert en rappels, la descente a été tout aussi rapide, trois longs rappels “à discrétion”, entrecoupés de petites désescalades.

Outre les photos qu'il a eu l'amabilité de prendre, Zian s'est improvisé vidéaste pour ces deux petites séquences, sous-titrées “de l'art d'assurer son client tout en le filmant” ! Vous remarquerez le vent – les brins d'herbe s'agitent, la concentration du second, dûment casqué…

Première partie



Seconde partie




Épisode 2 : la voie “La Rousse” - exigeante et espiègle
Honte au blogueur : il m'aura fallu deux ans pour comprendre pourquoi l'équipe “Grobéty” a baptisé trois de ses voies de dénominations thématiques sur les couleurs de cheveux ! En effet, “la Brune”, “la Blonde” et “la Rousse” (2009) sont chacune voisine des itinéraires historiques, désignés par trois couleurs : Noir, Jaune et Rouge. Tout simplement ! Si la première est au-delà de mon niveau (6a obligatoire) et donc inenvisageable, la seconde m'avait procuré d'agréables moments d'escalade en octobre 2012, en dépit d'une ampleur limitée.

Alors, quid de cette “Rousse” ? Le topo était attrayant avec ses longueurs en 5b. Idéal après l'échauffement de la Greg-Buffat. À une nuance près : un surplomb coté 6a. Je retrouvai là la configuration de la voie Spitnik aux dalles de Pré-de-Bar, qui oppose un passage déversant et athlétique au milieu d'une ambiance de dalles. Par goût – et surtout par constitution physique – les surplombs ne m'attirent guère. L'au-delà de la verticale me turlupine par construction !


Après trois longueurs homogènes en 4c avec de nombreux passages de 5b (voire un chouïa au-dessus), on relaye à droite d'un ressaut noirâtre. Le surplomb annoncé impressionne : à l'ombre, légèrement humide, haut de quelque quatre ou cinq mètres et sans aucun doute déversant (flèche sur la photo ci-dessus).

Son franchissement est acrobatique, les mouvements complexes, au point qu'on peut se demander si une prise-clé n'a pas cassé depuis l'ouverture. Par bonheur, les deux spits très proches autorisent quelques mouvements d'“A-zéro” pour un grimpeur de mon niveau, même s'il faut s'employer pour se rétablir au-dessus du dévers, en prenant garde à démousquetonner à temps, sans pour autant récupérer trop vite le matos.

L'avis du guide sur le passage reste dubitatif, au point qu'il s'autorisa deux essais. Il est vrai que ce dévers un brin tordu tranche singulièrement sur le style et le niveau d'ensemble de l'itinéraire. C'était semble-t-il le seul moyen d'accéder à la partie supérieure, très belle avec ses passages de 5b en fissure ou bombement, pas si évidents que cela ! On absoudra donc les ouvreurs, les remerciant sincèrement d'avoir découvert cette “Rousse” exigeante et espiègle, un caractère somme toute très juste – l'auteur de ces lignes en parle en connaissance de cause !

Ci-dessus : le franchissement du “mini-surplomb” au départ de L3.

Une heure trente d'escalade cette fois, pour une hauteur qui doit friser les 170 m. La descente en rappels gagnera à rejoindre la voie “Rouge”, ce qui évite de franchir le surplomb en rappel (relais désaxé) et réduit leur nombre tout en déposant les grimpeurs à proximité immédiate du départ, extrêmement proche. À ce propos, le nom peint au pied de la voie s'est effacé : il ne subsiste que le “L” de “La Rousse”, repérable sur un minuscule éperon arrondi placé sous un dièdre-cheminée de 4 mètres.

Nous avons eu le privilège d'être les seuls grimpeurs dans ces deux voies… quoique ! D'autres pratiquants, à l'aisance remarquable, s'étaient invités dans le voisinage.

Le topo de la voie Greg Buffat
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Ouverture : Greg Liscot (1997), compléments d'équipement et variante de sortie (70 m) par Sylvain et Julie Ravanel (septembre 2000).

Nous avons essayé d'apporter le plus grand soin à l'échelle de chaque longueur, sans cependant être certains de l'avoir parfaitement respectée.

La descente en rappels peut s'effectuer de plusieurs façons, certaines longueurs atteignant à peine 30 mètres. Attention toutefois aux risques de devoir désescalader des sections faciles, mais néanmoins exposées, avant de trouver l'ancrage suivant.
Le topo de la voie “La Rousse”
Cliquer sur l'image pour zoomer

Ouverture : André et Jacqueline Grobéty (septembre 2009).

Au départ de L2, un spit d'assurage avant de traverser une zone herbeuse est assez difficile à repérer. Mais il est bien là…
Le “mini-surplomb” en tout début de L3 se franchit par un pas athlétique très bref (le relais fournit un joli point d'aide !). Il s'évite facilement par la gauche.
Le “maxi-surplomb” de L4, avec deux points d'aide, est déjà athlétique et violent ; en libre, c'est un morceau de bravoure !
Il ne subsiste pas grand-chose de l'inscription à la peinture noire au pied de la voie, mais le dièdre cheminée encaissé et couronné d'herbes est assez aisément repérable, juste après avoir tourné l'angle de l'éperon séparant la voie “Rouge” de la voie “Rousse”.
Descente en 4 rappels avec compléments de désescalade possible (cordes de 50 m).

Les clins d'œil du hasard m'étonnent toujours. En redescendant vers Trélechamp, nous avons croisé un père et sa fille… une petite rousse ! L'ardeur avec laquelle la petite montait et redescendait sur tous les petits rochers qu'elle rencontrait augurait bien de l'avenir : peut-être ira-t-elle un jour gravir la voie qui porte son nom…

Et un grand merci à Zian pour m'avoir permis de passer ces heures merveilleuses aux Chéserys.

Si André et/ou Jacqueline Grobéty consultent cet article, je serais ravi de les remercier pour leurs itinéraires des Chéserys, et de discuter avec eux des circonstances de leur ouverture. Voir la page contact pour l'adresse de courriel. Merci !

Addendum juillet 2015
Hervé Thivierge, guide à Chamonix, publie régulièrement des topos sur son site web. Le 4 juin 2015, il a gravi la voie La Rousse. Il est toujours intéressant de comparer les cotations entre topos. Sur le sien, la L1 est cotée 5c. Est-ce que la dalle après la cheminée est plus difficile que je ne l'avais ressenti ? Le mini-surplomb du début de L3 est confirmé en 5c (ainsi que son évitement en 4b). Le crux reste en 6a (ou A0). Et le petit pas lisse et délicat de L5 confirme mon sentiment : 5c également.
Voir le sommaire complet des topos sur le site de Hervé Thivierge.

samedi 23 août 2014

Le petit paradis du petit Belvédère

“Improbable” ? Le terme est à la mode. À ne pas confondre avec “impossible”. Et pourtant ! En cet été à la météo exceptionnellement capricieuse, avec un calendrier ne laissant que quelques jours de disponibles, la “probabilité” de retourner en montagne nous paraissait bien ténue. Benoît serait dans la vallée du 18 au 21, et je ne sus qu'au dernier moment que je pouvais me libérer… Il fallait enfin que notre guide puisse nous consacrer une journée. Le 18 avait été choisi un peu au hasard…

Ça commençait mal : en dépit d'un beau temps radieux, le téléphérique des Grands Montets avait ouvert en retard. Un vent à 80 km/h en était la cause, soufflant depuis le sud-ouest. Notre objectif, la petite aiguille Verte, semblait bien compromis. Les tickets sont néanmoins achetés. Alea jacta est.

Là-haut, l'ambiance n'a rien de “bucolique”* : une cordée semble avoir renoncé à la petite Verte ; des vagues de neige volante balayent les alentours de la rimaye à toute allure. On imagine aisément l'inconfort du secteur… Que faire ?


Zian, notre guide, a plus d'un tour dans son sac – outre le matériel d'escalade. Nous nous équipons à proximité d'un dameur, non par amour pour l'engin, bien peu “mountain wilderness”, mais pour la simple raison qu'il nous abrite du vent…


Trop de vent côté petite Verte ? Qu'à cela ne tienne, nous partons sur le versant opposé, poussés par une jolie brise – comme dirait le capitaine Haddock. Zian le sait : la rimaye du col des Grands Montets est cette année détestable. Elle pourrait nous interdire l'accès au glacier des Rognons. Il n'en est heureusement rien, et elle est franchie in extremis, tout contre les rochers, ultime passage “improbable”.

Le sourire nous revient, dans une belle neige immaculée toute récente. Au fait, où va-t-on ? Au refuge d'Argentière, dont c'est l'une des voies d'accès ? Pas du tout. Zian a proposé une petite course connue des guides, mais peu répertoriée, répondant à la dénomination attrayante de “Petit Belvédère”. Cette nervure orientée grosso modo nord-est descend du sommet de l'aiguille des Grands Montets en direction du glacier d'Argentière. J'en ai une petite idée pour en avoir gravi l'ultime ressaut quelques années auparavant.
Nous allons cette fois la gravir presque intégralement, en s'approchant du fil de l'arête, le long de deux ressauts reliés par une section en neige bordée de petites aiguilles de granite.


En face, le Chardonnet (3824 m). Juste à gauche, l'arête du Petit Belvédère, que nous allons contourner en passant sous la petite aiguille bien visible.


Un amoncellement de granite qui ne manque pas d'allure ! Zian se dirige vers l'attaque, située sous un énorme bloc en surplomb.


Les apparences sont trompeuses : pour se rétablir sur l'écaille grise, un bref exercice de “dry-tooling” est recommandé, piolet coincé dans une fissure. Puis il suffit de traverser vers la gauche, là où Zian a établi un relais sur coinceurs, et conseille ses clients sourire aux lèvres… Se moquerait-il ? Il n'oserait pas !


Le relais (et-châteaux**) propose en prime un confortable siège. Benoît observe la progression de notre guide, ignorant malgré lui l'aiguille d'Argentière et le glacier homonyme, paysage de rêve.


Très jolie longueur d'une vingtaine de mètres, garnie juste ce qu'il faut de neige pour faciliter la progression dans une cheminée étroite et rectiligne. Le relais est établi sur becquets, dans la plus pure tradition Charlet-label 4 générations ® (dixit notre guide).


Au-dessus, louvoiements dans des blocs, selon inspiration du guide, que les clients suivent sans barguigner, évitant toute improvisation. Les crampons crissent sur le rocher, il est bienvenu de balayer devant soi pour examiner le granite sous-jacent. Tout cela est agréablement ludique !


Encore une longueur “père Noël”*** et nous débouchons au sommet du premier ressaut. Le second est rejoint par un cheminement aisé dans la même neige immaculée que précédemment.


Même si le soleil donne, la température reste basse : le vent climatise l'atmosphère, venant buter contre l'arête, à quelques mètres de nous.


Le second ressaut est plus aérien, car nous allons progresser sur le fil, ou à proximité immédiate. La Verte se révèle alors à nos regards – du moins lorsque nous ne cherchons pas les prises.


Le passage le plus délicat de la course est probablement cette cheminée étroite, au rebord droit assez lisse, dans lequel la “lecture du rocher” exige de prendre du recul – serions-nous presbytes ? Point de salut au fond de la fissure. Un coincement de pied gauche, un peu d'adhérence du droit, et ça devrait passer. Une cotation de 3c, voire 4a – à confirmer par les répétiteurs comme disent les topos vintage.


Au-dessus, c'est un nouvel épisode “danse avec les blocs”, avant de rejoindre à nouveau le fil de l'arête, sur une petite vire aérienne. De là, une dernière longueur en cheminée conduit à une antécime…


…ou un avion nous salue, tandis que la Lune trône juste au-dessus du chapeau (mythique) de Zian.
(Vous pouvez zoomer en cliquant sur la photo afin d'observer ces phénomènes surnaturels).


La dernière partie de l'itinéraire n'a rien de “sauvage”, reconnaissons-le. Tout au plus aurons-nous la satisfaction de procéder comme à l'aiguille du Midi : enjamber la rambarde de la plate-forme sommitale, au mépris du vide abyssal qui nous entoure (du moins est-ce le message que nous tentons de faire passer, personne n'étant présent pour le recevoir, contrairement à l'aiguille du Midi précitée, argument supplémentaire pour choisir les Grands Montets pour votre prochaine expédition touristique. Nous allons fermer la parenthèse bientôt, c'est promis. Ici :)


Au générique, de gauche à droite : Zian, le guide, Benoît et Jean-Luc, les monchus****.
Sans oublier “les” Verte, grande et petite, tout à gauche de la photo.

Et en prime, parce que nous aimons nos lectrices et lecteurs, un petit topo, sachant que les cheminements possibles sont nombreux. À ne pas prendre au pied de la lettre : l'épaisseur du trait peut recéler des prises cachées…

L'arête du Petit Belvédère à l'aiguille des Grands Montets (3297 m), pour une ascension de 150 mètres environ, variée et amusante, à entreprendre plutôt par bonnes conditions d'enneigement (déconseillé si trop sec).

On peut évidemment éviter le premier ressaut, ce qui est dommage si l'arête est l'objectif principal. Au début du second ressaut, une fissure (non équipée) semble utilisable, moyennant une escalade de 4c ou 5a (évaluation “à vue” sans la gravir).

Voir aussi l'itinéraire sur Camp To Camp : http://www.camptocamp.org/routes/551915/fr/aiguille-des-grands-montets-arete-du-petit-belvedere

GLOSSAIRE (parce que nous tenons à contribuer à l'enrichissement du veau qu'a bu l'air des internautes)

* Bucolique : campagnard et tranquille, au milieu des moutons, des herbages et des bergères.
** Un relais “et-châteaux” se distingue par son confort et sa vue imprenable.
*** En termes techniques : cheminée en conditions hivernales, remplie de cadeaux abandonnés.
**** Alpinistes conduits par des guides, se révélant, selon leur humeur, des sarpés ou des lanciers.