lundi 19 août 2013

Aiguille de la Vanoise, traversée ouest-est


Vue de profil, l'aiguille de la Vanoise a fière allure ! L'arête qu'Émile – notre guide – a proposé de gravir ce jeudi 15 août paraît bien impressionnante depuis les Barmettes…

Nous attaquerons l'escalade au-dessus de raides pentes herbeuses (flèche).
En attendant, il faut patienter environ deux heures, le temps de s'échauffer dans une marche d'approche régulière, le long de beaux sentiers. Nous passerons au voisinage du Moriond avant de décrire un arc-de-cercle pour contourner les escarpements qui soutiennent la naissance ouest de l'arête.

Quel bel objectif, en tout cas, que l'aiguille qui porte le nom du superbe massif qui l'environne. De quoi méditer !

Vue sur son flanc sud, l'aiguille change d'allure du tout au tout, comme si elle plaisantait avec ses prétendants. Une longue, très longue arête sommitale se révèle. Il suffit de regarder cette photo pour comprendre la différence entre une “traversée” d'aiguille et une classique “ascension”.


La flèche indique l'attaque, qui offre une première longueur sur de belles dalles couchées, où le soleil nous accueille avec opportunité après la montée soutenue par un vif vent d'est.


Équipés de pied en cap – baudrier, casque, chaussons – nous observons Émile dérouler une trentaine de mètres de corde. Le contact avec ce beau calcaire gris nous rappelle combien les semelles des chaussons adhèrent, comme par magie, au grain du rocher.


L'arête se redresse. Ce n'est pas parce que l'on “traverse” qu'il n'y a pas de montée. Le soleil, plein est, a émergé de la Grande Casse et va rester dans l'axe de notre progression.
Derrière nous, deux cordées ont commencé à leur tour l'escalade et relayent en haut des dalles.


Le passage suivant est l'occasion de citer la formule célèbre, qui galvanise nos énergies : “La paroi, verticale, se redressait encore” (j'exagère, mais il y a de ça). Benoît observe avec attention la progression d'Émile…


Et c'est la “surprise du chef” : un passage plutôt biscornu, absent des topos en tant que tel, et pourtant assez difficile. Une échancrure étroite, légèrement déversante, se franchit avec un bon point d'aide (“horreur, malheur” diraient les puristes) et un mouvement que l'on peut qualifier de “violent” – oui, on le peut !


Ma position de troisième de cordée, à quelques mètres de Benoît, me fait jouer un rôle paradoxal. Je tente de lui donner le “mode d'emploi” du passage… sans l'avoir franchi, et pour cause. Quand vient mon tour, il me faut appliquer mes conseils si possible. Ce coup-ci, ça collait : un vif mouvement en se poussant sur le pied droit, et la surprise est surmontée.

Après une heure trente de grimpe dans ce style, varié, aérien et souvent amusant, nous approchons du sommet ouest, orné d'étranges “becs” sculptés par l'érosion. À notre gauche, on plonge dans la paroi redoutable du versant nord, où se déroulent des voies aux noms évocateurs, au premier rang desquelles la “voie Desmaison”. Brr !


Émile manœuvre les cordes avec maestria, installant moult relais pour notre confort et notre sécurité. Nous suivons, toujours admiratifs pour ces techniques peu valorisées et pourtant cruciales.

Et nous prenons pied sur le sommet Ouest, orné d'un cairn et spacieux – adjectif que nous devrons bannir de notre vocabulaire dans les heures qui suivront. La crête qui démarre ensuite en donne un avant-goût.


Pile dans l'axe de l'arête, sa majesté la Grande Casse, qui restera la ligne de mire de la course jusqu'à son terme. Un voisinage qui n'est pas pour nous déplaire !


Les guides le disent souvent, avec humour : “On n'a pas des métiers faciles !” Grimper en tête, assurer les clients, leur soutenir le moral et… aller prendre des photos depuis des endroits exposés.


Mais c'est la corde qui mérite toutes les attentions. Soigneusement “lovée”, elle s'attachera (ha ! ha !) à se dérouler sans accrocs pour notre protection.


Si les prises sont bel et bien présentes, la plongée du regard dans le vide du versant nord (à gauche), donne la mesure de l'ambiance : le trait blanc tout en bas est le large chemin d'accès au refuge du col de la Vanoise, près de 600 mètres sous nos pieds… Mieux vaut regarder où on les mets, ces pieds.


Alors, quand il s'agit de marcher sur ce petit “trottoir” d'altitude, on ressent quelque peine à imiter Émile, qui se déplace là-dessus comme s'il allait acheter sa baguette de l'autre côté de la rue. Avouez que l'esthétique de cette aiguille de la Vanoise a de quoi mettre le cœur en joie.

Il ne faudrait pas s'y tromper. Qui dit “traversée” ne dit pas forcément un cheminement strictement horizontal, comme la photo précédente pouvait le laisser penser. De fait, le point culminant étant franchi, l'arête a tendance à descendre, en une succession de petits ressauts spécialement aériens. L'auteur de ces lignes bénéficie alors de l'immense privilège de partir le premier, à la découverte des prises cachées. Ce qui s'appelle “faire des pieds et des mains”. Émile, quant à lui, manœuvre sans cesse les cordes afin de ménager des points d'assurage, puis doit les “rappeler” à lui avant de poursuivre.


L'ambiance pour le moins aérienne n'empêche pas Émile de dispenser quelques commentaires, gestes à l'appui. Que ne faut-il pas faire pour rassurer les second et troisième avant qu'ils ne le rejoignent.


Le final de la traversée est époustouflant. L'arête, devenue lame de couteau – ou presque – fait son baroud d'honneur, toujours sur fond de Grande Casse. La grande classe serait-on tenté d'ajouter. Ces moments appartiennent à ceux qu'on n'oublie jamais, mêlant beauté et ce petit serrement des tripes que le vide environnant ne manque pas d'occasionner…


Allez ! On double la photo. En hauteur, ça rend encore mieux. Si, à droite, quelques dizaines de mètres nous séparent du plancher des vaches (pour vaches agiles, cependant), à gauche, c'est toujours la plongée directe sur des centaines de mètres de paroi. Heureusement, le cheminement invite à passer sur la droite, mains sur l'arête, pieds en adhérence sur le calcaire rugueux.


Les deux “monchus”, heureux comme tout, n'oublient pas de bien se tenir aux reliefs, en dépit des exhortations du guide-photographe (“Allez ! Sans les mains, cette fois, on la refait”).


Deux bouts de doigts pour assurer l'équilibre, quand même, faudrait “voir à voir” comme disait mon grand-père.


Eh bien voilà ! Cette fois, c'est bien “sans les mains”… l'espace de quelques secondes.


Voici ce que pouvait voir Benoît du côté ouest. Le premier de cordée de celle qui nous suivait, en train de traverser, en plein “gaz”.


Après quelques pas dans les pentes qualifiées de “débonnaires” dans un topo que nous ne nommerons pas, nous compatissons aux efforts des deux seconds de cordée qui abordent la petite brèche très aérienne qui nous avait occasionné quelques hésitations en dépit d'une “échelle à becquets” d'apparence évidente…


Nous ne vous dirons pas où c'est, vous chercherez par vous-mêmes, hein ! Émile a tenu à nous faire visiter les ruines de l'ancien refuge, encore visibles. Certes, on n'y passerait pas la nuit. D'ailleurs, le “nouveau” refuge est, lui aussi, en cours de rénovation. Les anciens “Algeco” du refuge du col de la Vanoise vivent en effet leur dernière saison.

Au moment de conclure, que dire ? Qu'on aimerait encore être là-haut, ça oui, plutôt que dans nos plates vallées urbaines. Puisse cet article de blog nous rappeler ces moments d'exception.

Avec mes remerciements à Émile, pour son professionnalisme et sa gentillesse, et à Benoît, pour m'avoir convaincu de faire le déplacement à Pralognan afin de l'accompagner dans cette très jolie course. 

ANNEXE : Considérations sur le choix de l'itinéraire
La traversée de l'aiguille de la Vanoise est “réversible”, en quelque sorte, puisqu'on peut la réaliser soit dans le sens Ouest-Est, comme nous l'avons fait ici, soit dans l'autre sens. De plus, une suite d'antécimes, côté est, permet d'ajouter une section complémentaire à l'ascension. Pour les cordées partant du refuge du col de la Vanoise, cette dernière combinaison semble plus classique. Cependant, à notre avis, descendre par l'extrémité ouest de l'arête est non seulement assez délicat, mais fait perdre de surcroît le plaisir de franchir ses passages à la montée. Ils s'y prêtent en effet. Par ailleurs, si l'on s'arrête au sommet Ouest en venant de l'est, il faut alors parcourir à nouveau l'arête direction est pour trouver une descente, ce qui est moins logique. Conclusion : l'itinéraire décrit ici nous paraît préférable à bien des égards, par sa logique et sa variété dans les passages gravis. Il mérite l'allongement de l'approche, que ce soit en venant du refuge ou en partant du bas. 

On pourra consulter le topo mis en ligne par Benoît sur CampToCamp à cette adresse, ainsi que le compte rendu de notre ascension à celle-ci.