mercredi 29 juillet 2009

Le mont Blanc trente ans après


Les blogs pèchent fréquemment par nombrilisme. J'exagère ? Aujourd'hui, il y a de ça puisque me voici célébrant un anniversaire très personnel.

Le 29 juillet 1979, il y a donc trente ans (bigre), je m'étais levé tôt, très tôt : une heure du matin. Grands dieux, mais pour quelle raison bizarre ? En montagne, l'été, la neige a la fâcheuse tendance à se ramollir sous l'action du soleil. Si l'on souhaite gravir un versant glaciaire, on est contraint de partir de nuit, lorsque la température consent à descendre. Le guide de haute montagne Gilbert Pareau, grâce auquel j'avais pu réussir plusieurs ascensions, m'avait proposé la face nord de l'aiguille de Bionnassay. Sur la photo ci-dessus, c'est le sommet qui commence tout juste à s'illuminer, à droite. Pris il y a quelques jours à 7 heures du matin, ce cliché correspond par conséquent à l'heure à laquelle nous étions parvenus au sommet en 1979, à 4052 mètres d'altitude, après cinq heures et quelque de montée.


Voici à quoi ressemblait ce sommet. Les internautes sont priés de ne pas ironiser sur l'équipement, certes désuet. Ils noteront qu'un seul piolet avait été employé durant cette ascension de mille mètres sur des pentes frôlant parfois une inclinaison de cinquante degrés. Contraste saisissant : après cette face, ce sera une arête, l'une des plus effilées et vertigineuses du massif du Mont-Blanc (dixit François Damilano) que nous suivrons pour rejoindre le col de Bionnassay, puis le piton des Italiens et, plus haut, le voisinage du Dôme du Goûter.


En cliquant sur cette image, vous l'afficherez en grand format. De gauche à droite sont indiqués le Dôme (flèche au centre), l'arête Bionnassay-Dôme et la face nord. Le refuge de Tête Rousse (où l'on dormit brièvement) est indiqué par la flèche située à droite de l'aiguille du Goûter, cette pyramide noirâtre au centre du panorama.

À 9 heures du matin (heure à laquelle cet article est rédigé), c'est une halte à proximité du sommet du Dôme du Goûter. Excellente occasion de se restaurer. Gilbert, le guide, a une idée derrière la tête. Le programme initial prévoyait de descendre sur l'aiguille du Goûter puis de rejoindre Tête Rousse et enfin le terminus du TMB, le petit train à crémaillère capable de nous ramener sur le plancher des vaches. Voilà qu'il me montre le sommet du mont Blanc, qui semble tout proche. Jamais je n'ai été aussi près du Toit de l'Europe. “Réfléchis bien” me souffle-t-il pendant que je mastique quelques provisions. Il est vrai que la réflexion s'impose ici. C'est l'occasion rêvée. Pourtant, avec déjà sept heures de marche depuis notre départ matinal, je ne suis pas à proprement parler frais comme un gardon (si tant est que les gardons circulent sur la voie normale du mont Blanc).

La décision est prise : je suivrai mon guide en direction de ce sommet mythique. Il faudra trois heures pour l'atteindre (contre un horaire habituel de deux heures), via le refuge Vallot et les fameuses Bosses. Ce mont Blanc n'a pas l'habitude de se rendre sans que les prétendants n'en bavent quelque peu. Ce fut mon cas. Peu après 13 heures, après douze heures d'efforts, nous étions enfin là-haut.


À gauche, les derniers mètres avant d'arriver au sommet du mont Blanc. À droite, Gilbert imite avec humour les clichés “victorieux” des expéditions himalayennes. J'avais ajouté à l'époque sur un tirage papier un slogan vantant les mérites du matériel Charlet-Moser (marque des piolets et crampons qui nous équipaient).


Pour ma part, j'avais adopté une posture nettement moins héroïque mais plus propice au repos. En arrière-plan, on peut identifier sur la gauche l'aiguille Verte et à droite les Grandes Jorasses. Pas à dire : nous sommes bien à 4807 mètres d'altitude, seuls en raison de l'heure tardive : un luxe inouï quand on connaît la fréquentation du mont Blanc un 29 juillet !

Pour la suite, ce sera comme dans les vidéos de TVMoutain : la descente ne sera pas détaillée. Sachez juste qu'il faudra effectuer la traversée des Trois monts à l'envers jusqu'au refuge des Cosmiques (à l'époque laboratoire des Cosmiques) où nous arriverons vers 17h30.

mardi 14 juillet 2009

Surprises au Vaccivier

La version imprimable (PDF) de cet article est téléchargeable à partir de la page des téléchargements du site des éditions AO • André Odemard. Vous trouverez aussi une galerie de photos complète sur le site d'Olivier Rousseau, ainsi que le compte rendu de Benoît sur CampToCamp à cette adresse.


Le refuge du Pigeonnier et le pic du Vaccivier.

Ceux qui connaissent l’auteur de ces lignes s’étonneront qu’il ait envisagé d’aller en montagne sans consulter au préalable force topos et notes techniques, d’autant qu’il s’aventurait en dehors des limites du massif du Mont-Blanc – tel le parisien se rendant soudain compte qu’un autre monde existe au-delà du boulevard périphérique. Eh bien croyez-le ou pas, il partit sans disposer d'aucune information sur l'ascension projetée, au point d'ailleurs que celle-ci évolua en cours de route, mais n'anticipons pas…


Surprises sur prises
L’instigateur de cet audacieux projet n’était autre que Benoît (orthoptiste, deuchiste et inscrit à CampToCamp entre autres références) qui avait déjà réussi l’exploit d’entraîner son ami Jean-Luc au mont Aiguille, au Grand Paradis et à la pointe de la Réchasse. Passant du statut de “projet” à celui de réalité le 14 juillet, cette nouvelle ascension se révéla riche en surprises.


De gauche à droite : Jean-Luc, Françoise, Pascal et Benoît.

À la façon des Trois Mousquetaires, la caravane se composa non de trois personnes mais de quatre. Pascal, le guide, avec qui Benoît et votre serviteur avaient déjà gravi les deux premiers sommets précités, avait proposé de monter aux Rouies dans le massif des Écrins. Il avait eu aussi l’idée d’associer son épouse à la cordée. Et de quatre !

Les deux monchus n’eurent pas à regretter la présence de Françoise, métronome de référence pour la montée au refuge du Pigeonnier, infirmière diplômée prodiguant conseils et pharmacopée (Aspirisucre® pour les uns, génépi pour les autres), créant de fait une nouvelle profession para-alpine, joyeuse compagne de course enfin, capable de redonner de l’allant aux clients de son mari y compris dans les pentes les plus raides et les tempêtes les plus décoiffantes.

La météo, capricieuse selon son habitude, avait accumulé tous les signes d’une dégradation susceptible de compromettre la course – et d'occasionner une mauvaise surprise, que ce soit mardi 13 au soir, avec l’arrivée de nuages sinon noirs du moins gris (très) sombre, ou mercredi 14 au matin : à 4 heures, déjà, les mêmes nuages stationnaient obstinément du côté des Rouies tandis que la température restait trop clémente pour un petit matin à 2400 m d’altitude.


« Ravoures du matin… chagrin ! »

Si de telles conditions rendaient la cigarette fumée en catimini à l’extérieur plus confortable, elles pouvaient aussi décourager le départ. Il n’en fut rien puisque Pascal, assumant la décision comme savent le faire les guides professionnels, n’en parut aucunement préoccupé et eut une intuition juste, confirmée par la dissolution des signes avant-coureurs de mauvais temps tandis que nous montions. L’orage serait pour le lendemain. Durant la première heure de marche, il fallut veiller à ne pas se déconcentrer en tentant (de tête et sans succès) une traduction simultanée du babil de deux anglaises trop jeunes pour être essoufflées. When I was younger, so much younger than today, I never needed anybody's help in any way…


Pascal médite : fera-t-il beau demain ?

Surprise aussi quant à la nature du cheminement
Le lecteur objectera que sans aucune documentation préalable, la surprise n'avait pas lieu d'être. Ce serait compter sans l’imagination, qui faisait fantasmer la voie normale des Rouies comme un long glacier presque horizontal conduisant sans obstacle particulier à un débonnaire sommet. Il s’agissait en réalité d’un vaste névé bordé de murailles abruptes, à la pente prononcée puisque flirtant avec les trente degrés, s’achevant par une écharpe à gauche plus proche des quarante (dixit CampToCamp). Il y avait même un étroit couloir plus raide qui aurait pu servir de voie d’accès au plateau glaciaire sommital, auquel l’écharpe précitée fut préférée pour de compréhensibles motifs d’efficacité et de ménagement des mollets des monchus – ce qui n’empêcha pas Pascal de retenir d’une seule main sûre une brève glissade de l’un des membres de la cordée (le plus lourd pour ne pas le nommer et pour souligner la vigueur de la parade).


Le pic du Vaccivier, 3 312 m (flèche). On distingue à sa gauche l'étroit couloir au-dessus de la pente de neige (masquée ici par l'éperon rocheux).

Surprise enfin sur le point culminant
Ci-dessous, de gauche à droite, les Rouies, le blogueur et le guide au sommet du pic du Vaccivier (merci Françoise pour la photo).

Vers 8h30, après quelque 3h45 de marche, alors que la cordée venait d’achever l’ascension de l’écharpe et se trouvait en plein vent (du sud mais frais), une rapide expertise du moral des troupes par le guide (et son assistante) conduisit à abandonner l’objectif initial pour se replier sur un “sommet de remplacement”, le Pic du Vaccivier (non, pas “vacciné”, rien à voir avec la médecine), tout proche sur notre droite, au sommet principal duquel nous pûmes nous tenir à 9 heures très précises, tandis que le soleil daignait enfin faire sa complète apparition.


Benoît sera agréablement surpris, pour sa part, d’expérimenter la douceur de la neige bien transformée à la descente, incomparablement plus confortable que la neige molle et profonde du Grand Paradis l’année précédente. Ce qui demanda 2h30 à la montée fut avalé en une heure à la descente (hors arrêt pour ôter les crampons).

On aurait pu encore être surpris en découvrant la personnalité de Georges, gardien du refuge du Pigeonnier. Fort heureusement, Pascal nous avait prévenus. Sage précaution : sachez, chers internautes, que cet homme est capable de vous proposer aux repas la carte suivante : tête de choucas aux graviers (Pihu, mon copain choucas, en tremble encore d’indignation), sandwich à la marmotte et œuf de shangrila à la coque, une cuisine politiquement incorrecte quelques semaines après les élections au parlement européen ayant vu la (quasi) victoire des écologistes. Après un véritable one man show de Georges pendant le dîner et quelques verres (obligatoires) de génépi-sur-sucre, de tels scandales furent vites oubliés – et passés par pertes et profits dans les toilettes sèches (cela existe, nous vous le confirmons) ou dans les poches à eau des sacs, beaucoup moins sèches par la force des choses.

Que de plaisir donc pour ces deux journées et 3400 mètres de dénivelés, au gré de surprises qui, convenez-en, auraient pu décourager les plus aguerris des alpinistes – mais pas la cordée ci-dessus ! D’amicaux remerciements sont par conséquents adressés ici à toutes les personnes qui ont contribué à la réussite de cette expédition.
Ci-contre : le docteur Taff' ausculte sa motivation matinale (photo Benoît).

Fiche-horaire
Le déroulement de la course est récapitulé dans la “fiche-horaire” ci-dessous, calquée dans sa présentation sur celle des horaires de chemin de fer du temps du Chaix (les amateurs apprécieront). Il fallait bien ajouter une touche “ferrovipathe” à cet article !


Les internautes intéressés par ce tableau, réalisé sous Excel, peuvent le télécharger gratuitement sur le site de “mes” éditions AO André Odemard (et pourquoi pas, chemin faisant, commander un des ouvrages figurant au catalogue !)

vendredi 10 juillet 2009

Un Index majeur

Le site TVMountain met en ligne régulièrement des vidéos d'alpinisme toujours passionnantes. On y trouve une ascension de l'aiguille de l'Index, dans les aiguilles Rouges, qui mérite le voyage. Jean Afannasieff conduit sa cliente sur l'arête sud, classique parmi les classiques.


Le film est un vrai bonheur d'humour et de qualité technique. Les angles de prises de vues, très bien choisis, donnent une ampleur inédite à l'escalade. Jean Afannasieff n'hésite pas à prononcer quelques aphorismes bien sentis, tel celui-ci : “la paroi, déjà verticale, se redressait encore…” citation fleurant bon la période héroïque de l'alpinisme dont Afannasieff est l'un des représentants, malgré son jeune âge. Avec Pierre Mazeaud, Kurt Diemberger et Nicolas Jaeger, il parvint au sommet de l'Everest en 1978, lors de sa première ascension française. On consultera sur son site Web tous les détails de ses impressionnantes réussites en alpinisme ainsi que sa copieuse filmographie (il est aussi cinéaste de montagne).