jeudi 26 juin 2008

Gran Paradiso

Pourquoi gravir des montagnes ? Que vont chercher là-haut ces fondus de la neige (parfois fondue d'ailleurs) ? Il est un sommet dont la dénomination en elle-même est une réponse : le Grand Paradis.

Bigre ! Rien que cela ? Le Paradis serait-il accessible au commun des mortels ? Eh bien oui, en voici la preuve.


Derrière le sérac, le Paradis, et l'arrivée du soleil.

Le Grand Paradis culmine à un peu plus de 4000 mètres, ce qui n'est pas le moindre de ses attraits : les alpinistes sont d'incorrigibles collectionneurs et tous les moyens sont bons pour les motiver. Certes, la "Conquête de l'inutile" (dixit Lionel Terray) ne peut qu'exiger une motivation infinie, par construction. Mais s'agit-il d'inutilité ? Oui et non. Oui, car une activité "inutile" dans une société obsédée par l'utile représente déjà une louable et… utile transgression. Non, car si l'on s'acharne à remonter des pentes de neige raides pendant des heures, c'est bien que cela nous semble utile, et point besoin de s'appeler Mazeaud pour autant.


La jonction entre les deux voies d'ascension, vers 3600 mètres d'altitude.

De quarante à cinquante
L'idée consistait à aller gravir un sommet de plus de 4000 mètres, dans un cadre de haute montagne, en écho et en prolongement de l'ascension du mont Aiguille l'année dernière (ainsi d'ailleurs que celle des Pointes Lachenal). Parmi les prétextes utiles, il s'agissait à nouveau de marquer un anniversaire : après les quarante ans de Benoît, les cinquante de Jean-Luc. La même équipe était rassemblée : Pascal Huss, le guide, à qui la charge des deux suiveurs allait à nouveau échoir, et qui remporta à cette occasion un Prix de Patience et de Constance. Et si vous êtes incroyants, un compte rendu est accessible sur le site CampToCamp à cette adresse : www.camptocamp.org/outings/131601/fr


Le Grand Paradis vu du refuge Chabod. Sur la droite, on distingue la trace de la voie "paranormale" (glacier de Laveciau) qui aboutit au Dos d'Âne où l'on retrouve l'itinéraire montant du refuge Victor-Emmanuel II.

La voie paranormale
Pour atteindre ce "Toit du Monde" de nos rêves, il fallut marcher, marcher et encore marcher, à tel point que nous avons cru avoir découvert ce qu'était l'Éternité – il fallait s'y attendre en tentant le Grand Paradis. Quant à l'itinéraire, la voie dite "normale" avait été remplacée à l'initiative du Pascal précité par une sorte de voie "para-normale" aux vertus magiques (1). Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre de redescendre ladite voie "normale", toute notion de "normalité" devenant soudain étrangère. Infinie descente d'une pente non moins infinie, remplie d'une neige constellée de trous, d'abîmes et de précipices sans fond (ou presque, j'exagère mais il y a de cela).


En haut du glacier de Laveciau, non loin du Dos d'Âne. Les skieurs ne peuvent qu'être poussés par le vent, il n'y a pas d'autre explication !


Beaucoup d'appelés et… pas mal d'élus.

Un quart d'heure de Paradis
Et le Paradis ? Il est habité par une Vierge, premier indice de son authenticité. Nous y avons rencontré une Sainte Famille nombreuse, encordée et parlant une langue inconnue – la langue du Pape ? Nous n'y avons séjourné qu'un bref quart d'heure, sous un vent diabolique et un soleil de plomb. Du haut de ces 4061 mètres (environ), nous avons ressenti durant quelques instants le frisson de la fierté qui anime ces indécrottables prétentieux que sont les ascensionnistes. Orgueil, vanité ? Le mieux est de laisser le mot de la fin à Gaston Rébuffat, et tout devient clair, lumineux et simple :

« Qu'on ne se méprenne pas : dans nos escalades faciles ou difficiles, il ne s'agit pas de "victoire sur un sommet". Peut-être pourrait-on parler de "victoire sur soi-même" ? C'est un bien grand mot. Je pense que c'est plus simple et plus direct que cela : la naissance nous a donné un corps, des muscles, un cœur, une âme ; elle nous a apporté aussi, qu'on le veuille ou non, des ardeurs, des élans. Les montagnes – mais il n'y a pas qu'elles – sont des terrains où l'on peut utiliser ce que "gratuitement" la nature nous a donné de meilleur. »



Le passage-clé de l'ascension, au-dessus d'un vide absolu – mes aïeux !

Temps réel et temps irréel

Tandis que j'écris ces lignes, ce jeudi 26 juin, il est 17h35. Il y a de cela seulement deux jours, Benoît et moi étions à mi-parcours du sentier descendant du refuge Victor Emmanuel. Ça n'en finissait plus, à tel point que nous crûmes (ah, le passé simple, c'est compliqué) ne jamais retrouver la Vallée. Et pourtant ! Aujourd'hui, le Paradis est déjà loin, mais il reste dans nos souvenirs pour toujours. Ce n'est pas la moindre des qualités de cette activité "inutile"…


De gauche à droite : Pascal (43), Benoît (41) et Jean-Luc (42).

Générique et remerciements

  • Grand merci à Pascal, dont le métier, si "inutile" (!), nous a apporté tant d'indispensable bonheur (contact sur le site www.altalika.fr).
  • Un vif merci à Benoît pour avoir entraîné l'auteur de ces lignes dans cette incroyable aventure (présent sur le Web notamment par son site orthoptie.net).
  • Mille mercis à nos compagnes, restées dans la Vallée, auxquelles nous n'avons cessé de penser durant toute cette mémorable journée (on ne parlera pas ici de l'accorte serveuse du refuge ni de l'attrayante skieuse de randonnée qui nous doubla sur le glacier).
  • Et un merci ému à mes parents, qui foulèrent cette cime en 1965 et devraient être, l'un comme l'autre, au Paradis à l'heure qu'il est.
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(1) Traditionnellement, on appelle voie "normale" d'une montagne l'itinéraire le plus facile et/ou le plus suivi par les alpinistes. Au Grand Paradis, une alternative à la voie normale permet de gagner les alentours du sommet (le « dos d'âne ») en partant non pas du refuge Victor-Emmanuel II, mais du refuge Chabod, via le glacier de Laveciau. À peine plus difficile, un brin plus longue, elle est aussi nettement plus belle que la voie normale, tant par son tracé que par le décor dans lequel elle se développe.

Quelques liens repérés sur la Toile
Un récit d'ascension par la même voie, illustré d'intéressantes photos permettant de comparer l'enneigement estival à celui de cette fin de juin : http://pagesperso-orange.fr/nader1/Le-Grand-Paradis.htm

Imprimatur de Benoît LXVI © 26 juin 2008