mardi 4 novembre 2008

Pihu le choucas

Cette nouvelle est dédiée à Michel Piola, grand alpiniste, ouvreur de tant de belles voies et auteur de si beaux topos, afin de le féliciter de façon aussi originale que possible pour la qualité de son dernier opus, le tome 1 des Aiguilles Rouges…

Je m’appelle « Pihu ». Un bien curieux nom et une bien curieuse orthographe, n’est-ce pas ?
C’est qu’il est très difficile de transcrire en phonétique humaine le langage des choucas. Car je suis un choucas – vous savez, un de ces oiseaux des hautes montagnes, au plumage noir et au bec jaune. Et j’en suis fier. J’ai le privilège de vivre dans un véritable paradis, ce Massif du Mont-Blanc qui attire tant de vos congénères – vous, les humains. Si vous connaissez un tant soit peu le secteur, vous comprendrez d’autant mieux combien je suis heureux d’évoluer entre l’aiguille du Midi et les Grands Charmoz, poussant parfois jusqu’au fond du cirque du Géant, près de l’une de vos « frontières » franco-italiennes.

Je suis né dans un nid installé dans le versant Est du Grépon. Mes parents n'avaient pu résister au confort d'un emplacement idéal qui n'avait qu'un seul défaut : il était proche d'un de vos itinéraires, le Grépon-Mer de Glace, ce qui occasionna quelques conflits avec les alpinistes. Ma mère avait l'habitude de leur tourner autour de la tête en croassant agressivement ce qui les déconcentrait, à ma grande joie d'ailleurs : j'éclatais de rire dans mon confortable nid !

Comment puis-je connaître tout cela, me direz-vous ? J’aurais envie de vous retourner la question… L’idée est universellement répandue, chez vous – pardonnez-moi – que nous ne sommes que de « stupides volatiles ». Vous allez devoir reconsidérer vos préjugés. Nous parlons – une succession de « piou-piou » et autres « crôa » à vos oreilles – et, surtout, nous comprenons sans peine vos sabirs, si simples et articulés comparés à la complexité de notre langage. Contrairement à ce que vous pensez, nous engrangeons dans nos « cervelles de moineaux » des quantités d’informations, transmises de bec de choucas à oreille de choucas depuis des générations. De quoi faire pâlir d’envie vos savants et leurs ordinateurs sans cervelle.
Moi qui vous parle, je connais dans ses moindres détails la topographie de « mon » secteur. Je la tiens de mes parents, en particulier de ma mère. Ni l’un ni l’autre ne sont plus de ce monde. Ils ont rejoint le firmament, tout là-haut, loin au-dessus des sommets des montagnes. Aussi ai-je à cœur d’enrichir et transmettre ce patrimoine.



Tous les sommets, la moindre petite pointe de granite, les piliers, les éperons, les arêtes, les couloirs, aucun de ces lieux ne manque à l’appel. Pour apprendre, il me suffit d’aller faire un tour du côté de vos nids d’altitude, les refuges, de me placer « en terrasse », aux premières loges, et d’écouter. Oh, vous croyez que seules les miettes de vos repas nous attirent : loin s’en faut ! Nous picorons, j’en conviens, ce qui ne nous empêche pas d’écouter, et d’enregistrer. Les sommets de l’aiguille du Midi, où vous vous pressez en troupeaux quelle que soit la saison, sont aussi une mine inépuisable d’informations, certes plus désordonnées, mais aussi plus variées du point de vue de vos langues : j’aime comparer ce que vous nommez « japonais » avec, par exemple, l’allemand ou l’italien.

Rien de tel que les repérages sur le terrain : l’été, par beau temps, je musarde dans les parois à la mode, avec ma compagne ou tel ou tel vieux copain. Nous nous offrons des moments de franche rigolade en vous observant ramper laborieusement, collés contre le rocher. Rien qu’en survolant les cordées, nous nous faisons une idée assez précise de ces « voies » tracées non sans peine par les hommes sur les montagnes. À la descente, vous tentez de nous imiter en vous élançant le long de vos cordes de rappel… Parfois, vous vous prenez carrément pour des oiseaux, avec vos parapentes, deltas et autres parachutes « base-jump », même si le volumineux équipement que vous employez frise le ridicule.


Ci-dessus : au col d'Anterne, on dispose d'un perchoir commode et d'une très belle vue sur le Buet, sans compter les miettes abandonnées par les randonneurs affamés.

Quoique sales et sans gêne, vous nous laissez de copieux garde-manger un peu partout dans la montagne, quand ce ne sont pas des monceaux d’ordures. Les plus grégaires de mes semblables, les plus paresseux aussi, se contentent de s’agglutiner bêtement autour des tas de détritus accumulés à proximité des refuges. Ce n’est pas ma tasse de thé – c’est bien l’expression que vous employez volontiers ? Je préfère aller dénicher des friandises sur les sommets escarpés des aiguilles ou sur les vires étroites des parois : restants de barres de céréales aux fruits, résidus de pâté ou de charcuteries, miettes de pain craquantes ou mie moelleuse, il y en a pour tous les goûts. De tels festins ne sont envisageables que pour ceux d’entre nous qui ont su apprendre. Les renégats qui négligent le Savoir en sont réduits aux « poubelles », les pauvres… et engraissent tout l’été, se trouvant fort dépourvus – tiens, encore une de vos expressions – quand la saison est terminée. Pour ma part, je dispose de réserves secrètes un peu partout. Si vous le permettez, je garderai les meilleures pour moi, me contentant de vous citer celles que seule la fainéantise interdit aux choucas moyens : le « balcon de la Knubel » au Grépon, le bivouac de l’éperon Frendo, le sommet arasé de l’aiguille du Plan, j’en passe et… des moins bonnes.
*
* *
Je dois confesser une indéniable espièglerie. L’une de mes plaisanteries préférées se joue en duo : deux choucas se posent sur un sommet dont la descente est réputée longue et difficile. Nous nous postons à proximité d’un ancrage de rappel. Lorsque des humains décident d’entamer la descente, nous observons leurs préparatifs fébriles tout en lissant nos plumes, l’air de rien. Tout à leur concentration, ils ne nous prêtent guère attention, tandis qu’ils installent leur « corde à double » et vérifient leur harnachement. Lorsqu’ils sont fin prêts, je lance trois ou quatre « pihu ! » bien sonores pour capter leurs regards, et plonge comme une pierre dans le vide. Le copain resté en haut écoute alors avec gourmandise les commentaires apeurés des alpinistes :
– T’as vu ce choucas ? Me flanque le vertige à plonger comme ça !
– Bigre ! Faudrait pas se louper : t’as vu ce vide ?
– Dire qu’il va nous falloir quatre ou cinq heures pour arriver en bas… Lui, il y est déjà ! Ça me fout le moral à zéro, moi…

Je ne fais pas que de me moquer, soyez rassurés. Nous avons aussi de bons côtés. La charité est une vertu répandue parmi les choucas. C’est ainsi qu’il m’arrive souvent d’aider les grimpeurs hésitants. Si ! Si ! Personne n’a dû vous le raconter : les hommes sont si orgueilleux. Comment est-ce que je m’y prends ? Le plus simplement du monde. Un exemple : quand un premier de cordée a des doutes sur l’itinéraire à suivre, dans une voie d’escalade que je connais par cœur, je commence par me poser à un ou deux mètres de lui. Quelques « pihu ! » vigoureux suffisent à attirer son attention. Généralement, il maugrée, tout à son angoisse :
– M’embête, cet oiseau. M’empêche de me concentrer. Il me nargue, ou quoi ? Mais par où ça passe, bon sang de bon sang ?

Dans la plupart des cas, il n’a pas vu le piton laissé par un de ses prédécesseurs, quelques mètres plus à gauche ; ou la petite écaille, cachée par le fil de l’éperon, juste à droite ; ou bien il se trouve en arrêt précaire, les quatre membres en équilibre instable sur une dalle presque lisse, bloqué, alors qu’un de ces « spits » tout neuf brille au-dessus de sa tête. Il me faut généralement insister. Je volette d’un point à un autre, désignant le piton de la pointe de mon bec, me perchant sur la grosse prise qu’il néglige involontairement, ou tournicotant devant la « fissure salvatrice » – comme vous dites. La majorité d’entre vous comprennent le signal, pour peu qu’ils soient attentifs et peu enclins aux préjugés. Parmi eux, il en est qui me remercient de quelque friandise une fois arrivés avec soulagement aux « relais », où ils s’accrochent désespérément.
Je ne m’attarde guère : le tempérament de mendiant m’est étranger. Et j’ai la vue suffisamment exercée pour repérer un dixième de tranche de saucisson à plusieurs dizaines de mètres, alors…


Ci-dessus : lors d'un de mes séjours dans les Aiguilles Rouges.

Nous sommes des oiseaux éminemment sensibles, savez-vous ?
Rien de plus triste que d’assister à un de vos « vols ». Chez vous, je le sais, ce mot n’a rien de ludique, ni de grisant. « Voler », dans votre jargon d’alpiniste, c’est tomber. Comme vous n’avez pas d’ailes – c’est le moins que l’on puisse dire ! – vos vols se terminent souvent mal. À tel point que vous devez parfois appeler à la rescousse un de ces énormes oiseaux mécaniques, du moins qui se considèrent comme tels, vos « hélicos ». Quelle saleté, ces trucs-là ! Ils ont un boucan d’enfer, leurs pales brassent l’air à toute allure, et il est même arrivé que des choucas soient aspirés par leurs tuyères grondantes. Consigne impérative : ne pas rester dans les parages. Fort heureusement, on les voit – et on les entend ! – venir de loin. Pourquoi diable faut-il que vous inventiez des machines aussi dangereuses ? Bon, je sais, vous êtes lourds, plutôt empotés, mais est-ce une raison pour utiliser de si terribles substituts à votre manque d’ailes ?
*
* *
Je vous en ai évité, des sauvetages, bande d’ingrats ! J’ai même fait mieux, un jour. Vous connaissez peut-être cet alpiniste Suisse, Michel. Il passe son temps à escalader des portions de parois où personne n’est jamais passé auparavant, « là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied » plaisantait un autre de vos grands grimpeurs, non sans réalisme : il faut vous voir tirer tout le parti de vos membres pour gravir ces montagnes… chapeau ! Je le concède.

Michel est un véritable ami de la Nature, et respecte les animaux. Il suffit pour s’en convaincre de l’observer discuter avec une marmotte. Dieu sait s’il en faut, de la patience, car les marmottes sont très peureuses – avec raison, car vos abominables chasseurs en ont décimé des tribus entières par le passé. Michel sait regarder, observer, jauger la roche et déceler un passage. Je l’ai vu progresser sur des murs quasiment lisses pour un humain. À croire qu’il a été choucas dans une vie antérieure !

À de nombreuses reprises, je l’ai observé. Un vrai régal ! Surtout qu’à une époque, il écumait littéralement un de mes secteurs préférés, celui que vous appelez l’Envers des Aiguilles. Comme j’y suis né, j’aurais tendance à le considérer comme « l’Endroit », mais bon…

Un jour de juin, je me souviens, il était en difficulté. C’est rare. Agrippé à… rien du tout, en apparence, il tenait dans sa main gauche un tout petit coinceur – ceux que vous appelez fort justement des « noisettes » (nuts) – vraiment minuscule. Moi, je voletais à côté, selon mon habitude, lui tenant compagnie, et de plus en plus inquiet, à dire vrai : il n’allait pas « voler », pas lui ! D’autant que son dernier point d’assurage se trouvait loin en dessous de lui.
– Ça va, Michel ? lui criait anxieusement son camarade de cordée, crispé sur la corde, quarante mètres plus bas.
– Mouais… pas moyen de libérer cette main et de placer ce fichu coinceur, avait-il déploré à mi-voix.
Je voyais la sueur perler à son front, en dépit de la fraîcheur de l’air ambiant. J’avais bien une idée, mais j’hésitais : notre morale traditionnelle impose le non-interventionisme. Même si j’y déroge parfois, discrètement et sans malice, là, c’était plus ardu de me décider.
Perché à proximité, je voyais son mollet gauche commencer à trembler – la « greuvôle » dans le jargon des chamoniards – et la semelle d’un chausson d’escalade glisser imperceptiblement sur le granite.
– Aidez-moi, a-t-il murmuré soudain.
La prière s’adressait peut-être à un de vos Dieux, je ne sais. C’en était trop. Je ne pouvais rester là sans rien tenter. Vérifiant qu’aucun choucas ne passait dans les parages, j’ai pris mon courage à deux mains – enfin, vous voyez ce que je veux dire.


Sur une photo prise depuis le relais, on peut me reconnaître en bas à gauche.

Michel avait presque lâché le petit coinceur, tentant de mieux assurer la prise de sa main gauche du bout des doigts. La cordelette pendait sur la roche. Ah, c’était lourd, vraiment très lourd, mais j’y suis arrivé : j’ai saisi dans mon bec la cordelette et, d’un battement d’ailes, déposé le coinceur dans un minuscule trou que le grimpeur avait deviné, sinon vu, à vingt centimètres au-dessus de sa tête.

J’ai craint un instant que la surprise ne lui fasse lâcher prise. Heureusement, sa maîtrise ne l’a pas abandonné. Au contraire, il a compris, et, surtout, eu confiance : d’une détente calculée, il a attrapé la cordelette, vérifié en une fraction de seconde que la « noisette » était bien coincée, et mousquetonné le dispositif avec un « ouf ! » de soulagement.

Je me suis alors envolé prestement. Une heure plus tard, je les ai rejoints au sommet. Et là, quel festin ! S’il ne m’a pas reconnu – pour vous, nous nous ressemblons tous ! – il a cherché à récompenser mon espèce tout entière. Son copain, Pierre-Alain je crois, se moquait de lui :
– Un choucas qui place un coinceur ?! L’adrénaline t’as donné des visions, mon vieux Michel.
– Non, non, je t’assure…
– Allons, allons ! D’abord, c’est moi qui t’assurais, tu ne crois pas ? Quant au choucas, il t’aura plutôt déconcentré qu’autre chose, non ?
Et moi qui lançait des « pihu ! » en rafales pour bien lui montrer que je comprenais… J’ai même été picorer fugacement un de ses micro-coinceurs, histoire de lui faire un petit signe.
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* *
Je ne pense pas que Michel en ait parlé à quiconque. Peut-être, un jour, écrira-t-il ce récit sous forme de conte dans un de ses livres ? Remarquez, la voie s’appelle « le choucas inspiré », vous pouvez vérifier dans le livre d’or du refuge d’Envers des Aiguilles. Je l’ai entendu en parler avec la gardienne quelques jours plus tard. Le passage où je l’ai tiré d’affaire est coté « 7b+ ». D’après votre échelle de difficultés, c’est très difficile – « abominablement difficile » précisez-vous. J’avoue que j’ai un peu de peine à comprendre, car dans les « dalles en 7a », il m’arrive de me poser pour picorer, alors…

vendredi 3 octobre 2008

Le Mont blanc du Tacul (addendum)

En fouillant dans ma photothèque, je me suis aperçu que j'avais photographié le mont Blanc du Tacul le lendemain de l'avalanche du 24 août, cliché sur lequel on voit distinctement le sérac qui a cassé, la ligne de la plaque de neige qui s'est décollée et les coulées sur la pente. La voici en complément de l'article publié ici le 28 septembre.



Elle est disponible en haute définition (clic sur l'image) pour plus de précision.

À noter que Montagne Magazine d'octobre (numéro 334) publie un article complet sur l'accident.

Re-addendum (20 octobre 2008)
La photo ci-dessous reproduit une partie d'un cliché datant de 1955 environ. On pourra ainsi comparer l'état de la pente du Tacul à plus de cinquante ans de distance.

dimanche 28 septembre 2008

Le mont Blanc du Tacul

Le mont Blanc du Tacul culmine à 4248 mètres d'altitude. Situé sur la route du Toit de l'Europe, il fait partie de ses "satellites", avec le mont Maudit. Aussi cette montagne voit-elle passer un grand nombre d'alpinistes en toutes saisons, en route pour le mont Blanc ou plus simplement désireux de gagner ce beau sommet. En outre, la voie normale est parcourue à la descente par les alpinistes revenant des nombreux itinéraires aboutissant au Tacul : couloir et pilier Gervasutti, aiguilles du Diable pour ne citer que les plus célèbres.



Le 24 août dernier, au lendemain de la réalisation du cliché ci-dessus, une avalanche de séracs a balayé le versant et causé la disparition de plusieurs membres des cordées engagées dans la face glaciaire de la montagne. De quoi donner au Tacul le nom de son voisin, le pourtant débonnaire Mont Maudit. Cependant, comme tous les beaux et grands sommets, le mont Blanc du Tacul peut aussi incarner de merveilleux souvenirs.

D'autres informations sur l'avalanche du 24 août : ici.

Anniversaires
Parmi les myriades d'objets-souvenirs entassés au fond des placards, voici que l'on retrouve parfois une véritable "pépite". La photo ci-contre reproduit cette petite boîte dans laquelle mon père avait conservé précieusement un minuscule caillou ramassé au sommet du mont Blanc du Tacul le 12 septembre 1962. Ce jour-là, il gravissait son tout premier Quatre-Mille, de surcroît le jour de son anniversaire – il venait d'avoir 33 ans. Qui plus est, il se tenait au sommet en compagnie de Fernand, le guide, et de son beau-père André qui venait de souffler ses 61 bougies quelques jours plus tôt, le 3 septembre. Neuf ans plus tard, ce même André réitèrera une ascension-anniversaire, montant au Tacul pour ses soixante-dix ans, conduit par le même Fernand.

Pour ma part, une quantité notable de souvenirs sont attachés à ce mont Blanc du Tacul.



Premier(s) Quatre-Mille
Le Tacul fut aussi mon premier Quatre-Mille, le 5 août 1976, j'étais alors âgé de 18 ans. Suivant mon guide Gilbert en "cordée volante" avec son épouse, je garde en tête des images de grandes pentes de neige dure, de long effort et d'un café au lait sommital qui me valut quelques étourdissement de retour à la gare du téléphérique de l'aiguille du Midi. Je repasserai sur la pente glaciaire de la voie normale trois ans plus tard, de retour du mont Blanc, atteint via la face nord de l'aiguille de Bionnassay, une longue, très longue course, qualifiée par Gilbert-le-guide de "sacrée bambée" (29 juillet 1979). Nouvelle ascension de la voie normale en compagnie de mon copain Dominique et de Fernand, celui-là même qui y conduisit mes père et grand-père, le 3 août 1984. Troisième voie normale avec Gilbert et ma compagne Sabine le 19 juillet 1986. Ce jour-là, les conditions étaient parfaites, au point qu'un alpiniste y monta en suivant… son chien, dépourvu de laisse et de crampons et pourtant à son aise. Enfin, l'arrivée au sommet la plus émouvante fut sans conteste le 18 août 1991, en sortant du pilier Gervasutti, toujours sous la houlette de Gilbert, qui gravissait le pilier pour la première fois.

Sans passer au sommet proprement dit, j'ai aussi parcouru la voie normale en descendant du Triangle du Tacul (voies Contamine-Mazeaud et Contamine-Grisolle), du couloir Jäger, un 3 janvier, ou encore de l'arête Küffner au mont Maudit. Au total, je serai donc passé une douzaine de fois dans cette face glaciaire, devenue plus dangereuse au fil des années en raison de l'apparition de séracs de plus en plus nombreux.



Ci-dessus : la chaîne du Mont-Blanc vue depuis le Vieux-Servoz. Si vous cliquez sur l'image afin de zoomer, vous pourrez distinguer le sommet du mont Blanc, tout petit relief déjà éclairé sur le flanc gauche du dôme du Goûter (à peu près au centre de la photo).

Hasards et coïncidences
Tout cela pour rendre hommage à ce majestueux mont Blanc du Tacul, qui connut certes des drames mais aussi des milliers de bonheurs. Au chapitre des coïncidences étonnantes, je me souviens, sans pouvoir dater l'évenément avec précision, qu'un matin le téléphérique de l'aiguille du Midi ne put assurer la première benne à l'heure habituelle (6 heures) en raison de problèmes techniques. Les cordées en partance pour le Tacul durent patienter deux heures avant de pouvoir monter à l'Aiguille. Une chance ! Une avalanche semblable à celle du 24 août dernier devait balayer toute la face à peu près à l'heure où, normalement, elles auraient dû être engagées dans l'ascension…

Toponymie
D'où vient la dénomination curieuse de cet "autre" mont Blanc ? L'ouvrage Les noms de lieux de la région du Mont-Blanc, de Roland Boyer (1979) évoque plusieurs hypothèses : la racine germanique "tak" pourrait évoquer une surface glaciaire relativement plane – l'impression que l'on a depuis la Vallée. Toujours en germanique, "zacke" signifie "pointe" ou "dent", autre étymologie possible. On peut rapprocher "Tacul" de "Taconnaz", nom d'un village situé dans la vallée de Chamonix à peu près sous le Tacul. Rien là-dedans ne permet toutefois de comprendre pourquoi la syllabe "cul" est venue s'ajouter à la dénomination de la montagne ! Les arcanes de l'étymologie demeurent aussi impénétrables que les Voies du Seigneur ;-)

Cet article est aussi un hommage à ma mère, disparue il y a exactement un an, et qui aimait la montagne tout comme ses père, mari et enfants… Et que les guides talentueux qui nous ont si souvent conduits sur ces sommets soient aussi chaleureusement remerciés.

dimanche 31 août 2008

Argentiere Grand Roc : architecture et montagne

La question de l'architecture de montagne est épineuse, écartelée entre un passé révolu et une modernité parfois violente. Le Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement (CAUE) de Haute-Savoie a mis en ligne une plaquette sur l'architecture de la vallée de Chamonix qui apporte d'utiles éclaircissements.

L'architecture traditionnelle de montagne ne s'embarrassait pas de principes ou de discours. Elle se contentait de répondre aux contraintes de son environnement et de s'adapter aux besoins de ses habitants. Maisons groupées et contigües, grenier à foin servant d'isolant thermique, partie basse en pierre ou maçonnerie pour l'habitation et l'hébergement des animaux, toiture en pente pour que la neige puisse s'écouler sans trop charger les charpentes.

Tourisme et architecture
L'irruption du tourisme, dès le XVIIIè siècle, a changé la donne. On peut voir aujourd'hui encore la signature des deux précurseurs anglais du tourisme, Windham et Pocock, venus dès 1741 au Montenvers, admirer la Mer de glace.


Ci-dessus : signature des deux Anglais, visible depuis le sentier passant sous les installations du Montenvers, à peu près à l'aplomb de la grande terrasse circulaire.

Le sentier est accessible depuis les Mottets, ou en descendant les premiers lacets du sentier dit de la Grotte de Glace et en prenant tout de suite sur la gauche au premier voirage. De là, la vue sur la Mer de glace et les Grandes Jorasses est splendide. (cf. ci-contre) On comprend l'enthousiasme de nos deux touristes de l'époque !




Folklorisation

Dès lors, quelle architecture adopter ? Les réponses seront multiples et désordonnées. Des grands palaces des XIXè et XXè siècles aux chalets copiés sur le modèle Suisse – assez éloigné de l'habitat savoyard – en passant par des villas inspirées de celles que l'on trouvait à Deauville ou Biarritz, aucun modèle ne domine, conduisant à une hétérogénéité surprenante. Le passage en force de la démarche dite "moderne" des années 60 et 70 n'arrange rien. Aujourd'hui, un certain désarroi aboutit à la "folklorisation" du bâti. Le CAUE cite Le Corbusier. On peut avoir une opinion contrastée sur le célèbre architecte et urbaniste. Il n'empêche : dès 1957, il avait compris le travers dans lequel nous sommes désormais tombés :
Copier servilement le passé, c'est se condamner au mensonge, c'est ériger le "faux" en principe. […] En mêlant le "faux" au vrai, […] on n'aboutit qu'à une reconstitution factice juste capable de jeter le discrédit sur les témoignages authentiques qu'on avait le plus à cœur de conserver.

Deux exemples à vingt années d'écart
En haut de la vallée de Chamonix, à Argentière, deux ensembles immobiliers se font face, chacun représentant deux tendances emblématiques de l'architecture résidentielle de tourisme.



La résidence "Cristal" donne un exemple parfait de "folklorisation" : toitures exagérément découpées, volumes sans utilité telle cette espèce de clocheton de chapelle (!), frises décorées avec excès, luxe tapageur et racoleur. La construction est récente (moins de dix ans).
Exactement ce que Le Corbusier dénonçait à l'avance comme du "faux". Une telle architecture ne ressemble à rien, n'a aucune justification fonctionnelle, est très coûteuse à construire et ne sert en définitive qu'à flatter une clientèle séduite par les "signes extérieurs de richesse", que l'on enfonce avec plaisir dans sa médiocrité.



La résidence Grand Roc, plus ancienne (1970), conçue par l'architecte Claude Balick (*), pourrait apparaître comme l'archétype du "grand ensemble" de montagne, si décrié. Si l'on y regarde de plus près, c'est plutôt d'un des rares contre-exemples de réussite dont il s'agit.



• Le choix systématique du logement en duplex avec mezzanine allège la façade (chaque étage est en réalité double), favorise la luminosité et la vue.
Le dessin sophistiqué des toitures s'appuie sur la nécessité d'une protection contre la neige (pentes) sans pour autant "singer" les chalets, ce qui serait vain, tout en jouant avec virtuosité des perspectives, un peu comme dans les tableaux cubistes.
La densité de la résidence est certes pesante pour les plus hauts des trois bâtiments, en particulier celui qui compte cinq niveaux de duplex (10 étages).

Cependant, cette réponse à un besoin quantitatif permet d'occuper moins d'espace. Placée en contrebas de la route, la résidence évite de s'imposer à la vue. Ainsi dégagée de références proches, elle adopte une échelle qui, comparée à celle des montagnes environnantes, demeure modeste. Sans oublier que le nombre d'étages permet à la majorité des résidents de profiter de la vue sur le massif du Mont-Blanc – ce qui est loin d'être le cas de chalets individuels se gênant les uns les autres…



Ce plan en 3D vous donnera une idée de l'agencement d'un duplex de la résidence Grand Roc. L'organisation du logement emprunte à celle des bateaux par sa façon de ne perdre aucune place. La mezzanine offre du volume, changeant la perception de l'habitabilité et diffusant la lumière. Les économies de surface permettent de disposer de WC séparés de la salle de bains tandis que le coin-repas peut être escamoté par le truchement d'une table relevable. Le balcon agrandit l'espace disponible, avec une balustrade garantissant une relative intimité.

Démocratisation ?
Que l'on ne s'y trompe pas toutefois : l'architecture de grande densité prétendait "démocratiser" l'accès à la montagne, en particulier pour les sports d'hiver, en réduisant les surfaces habitables au strict minimum. La résidence Grand Roc, dès sa construction, se positionnait d'entrée de jeu sur le terrain du luxe, déjà ! Mais elle a plutôt bien vieilli, prouvant avec le temps son adaptation à sa fonction et sa cohérence de conception.

En ce début de XXIè siècle, il n'est plus question de démocratisation. Nous sommes revenus cent ans en arrière, à ce que le CAUE nomme le "tourisme de luxe" :
Au début du XXè siècle, le tourisme est encore réservé à une clientèle fortunée – souvent aristocratique – qui se déplace en villégiature à Chamonix, Biarritz ou encore Deauville. Pour cette clientèle internationale de luxe, on construit des bâtiments gigantesques et fastueux.

Sous la pression d'une demande désormais mondialisée, attirée par la beauté du massif du Mont-Blanc, les prix se sont envolés, au point qu'un petit logement de 40 m2 dans la résidence Cristal précitée cherche preneur à près de 300 000 €, ou que les duplex de Grand Roc sont proposés à des prix s'inscrivant dans une fourchette de 170 000 à 250 000 € pour des superficies de 35 à 50 m2 (en 2003, les mêmes appartements affichaient 90 000 à 120 000 €, soit un doublement en cinq ans !). On consultera le site de l'agence Montagne d'Argentière, spécialisée dans ces logements pour se faire une idée plus précise du marché.

Quelle densité ?
Et l'on en revient toujours à la même question : quelle densité ? Si les abus outrageux des années 60 et 70 n'avaient pas déconsidéré pour longtemps (pour toujours ?) les immeubles de grande hauteur, peut-être aurait-on bâti autrement dans une vallée comme celle de Chamonix, réduisant autant que faire se peut la pression immobilière. Mais il est trop tard désormais ! Les "chalets suisses" des années 30 ou 40 s'évaluent désormais en millions d'euros dans la partie la plus cotée de la Vallée… Quant aux logements locatifs "abordables" (sans même aller jusqu'aux logements dits "sociaux") ils se comptent sur les doigts de la main et plus aucun terrain n'est disponible pour en construire, sauf peut-être en bordure de voie ferrée (chantier en cours à la sortie amont de Chamonix).

Addendum du 14 septembre 2014
Un internaute nous a envoyé une photo d'un chalet construit par Claude Balick, à Thollon (74) dans un ensemble également nommé “Grand Roc”. Qu'il en soit ici remercié ! Il nous précise que « La technique des demi niveaux y est utiliser pour répartir les surfaces entre pièces à vivre, à dormir et pièces utilitaires. »



(*) Peu d'informations sont disponibles sur l'architecte Claude Balick. Quelques recherches sur le Web m'ont permis de découvrir certaines de ses réalisations sur le site d'un collectionneur de cartes postales consacrées à l'architecture : archipostcard.blogspot.com
L'architecte a en effet signé des réalisations à Parly 2 (ci-contre, les balcons triangulaires préfigurent ceux de Grand Roc) ou à Ris-Orangis avec les gigantesques "Hameaux de la Roche" : 757 pavillons et 516 appartements (1965-69).

samedi 30 août 2008

Pointe de la Réchasse : y'a un cheminement

Après le mont Aiguille, la traversée des pointes Lachenal et le Grand Paradis, voici que les deux compères Benoît et Jean-Luc sont partis pour de nouvelles aventures, en Vanoise cette fois-ci.


Une affaire de cordées…

Le 6 août dernier, ils eurent le plaisir et l’avantage de gravir la pointe de la Réchasse (3212 m), au départ du refuge du col de la Vanoise (alias Félix Faure), au sein d’une sympathique « collective » conduite par le tout aussi sympathique Émile Chaillan, guide et généreux pédagogue. Benoît a laissé des traces (profondes) dans la neige, mais aussi des traces sur le Web, à cette adresse : www.camptocamp.org/outings/135428, sur laquelle vous trouverez d'utiles précisions. Quant à cet article de blog, c'est un "collage" de photos et d'extraits de notes prises au retour de course, habitude contractée il y a longtemps pour "sauvegarder" les impressions merveilleuses de ce genre d'expériences…

Note : en cliquant sur les images illustrant cet article, vous afficherez en plein écran les versions haute définition dans votre navigateur.


5 août au soir : la pointe de la Réchasse au coucher du soleil



La pointe de la Réchasse ressemble à une jetée avançant dans une mer de neige et de glace (et d'un peu de cailloux aussi, surtout en été). Ses flancs lui donnent des airs de reliefs de la Monument Valley (USA, Utah). Un monument, effectivement ! Il a des allures de cap, que dis-je de péninsule, avec cette longue crête striée de nervures plongeant sur des névés.



Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours même si, je vous le concède, cet article est pour le moins copieux en copie.


De gauche à droite : Benoît I, Benoît II, Jean-Éric, Thierry et Jean-Luc



La grande cordée se composait, outre des deux compères précités, d’un autre Benoît, d’un Jean-Eric et de son oncle Thierry. Tout ce petit monde y trouva son compte, ravi de parcourir un itinéraire varié – glace, neige et roc agrémenté de moraines – en partant de nuit pour profiter du lever de soleil au moment de fixer les « crabes » (crampons) aux souliers.




Lever de soleil sur l'horizon




L'arrêt-crampons : tandis que le jour se lève, nous nous battons avec les lanières…



De la tactique et de la technique
Émile a su captiver son auditoire, que ce soit lors de ses explications sur la tactique – départ à la frontale pour profiter de la température fraîche et de bonnes conditions de neige, sur la technique – comment utiliser au mieux ces pointes de métal, comment remonter un petit mur de rocher escarpé, toponymiques – un tour d’horizon d’érudit depuis le sommet, sur le terrain enfin – tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les glaciers sans oser le demander : moulins, dolines et autres crevasses…

Le "mur" défendant l'accès aux remparts de la Réchasse



Y'a un cheminement !
Émile saura rassurer son monde quoi qu’il arrive, précisant toujours en montrant tel ou tel relief qui pourrait impressionner : « y’a un cheminement ». Nous serons d'ailleurs très contents qu'il nous le déchiffre (ou défriche), ce cheminement, que ce soit dans la nuit noire matinale, au pied du mur, dans les moraines ou sur le glacier…


Le seigneur des Anneaux (de corde)

Les manœuvres de corde sont l'apanage des guides, et leur demandent beaucoup d'attention et de maniements afin d'assurer la progression de la cordée sur le terrain si complexe et varié de la montagne.


La cordée s'échelonne sur la crête de la Réchasse, baignée de la lumière du soleil levant

Le sommet




Le tour d'horizon d'Émile



Imperturbable logique
Selon la logique imperturbable de l'alpinisme, après être montés, nous voici contraints de descendre – logique qui échappe souvent aux personnes observant de l'extérieur cette étrange activité. Afin d'éviter toute monotonie, Émile avait prévu de revenir par l'autre versant, via un agréable cheminement sur glacier.




Marche sur le glacier, sur l'envers du versant de montée




Une cordée sur l'arête, à peu près à l'endroit ou nous sortîmes (j'aime bien un peu de passé simple de temps à autre) du "mur"


Avec le bonjour amical de Benoît et de Jean-Luc

Comment ça marche ?
Le principe de la "collective" est le suivant : les prétendants s'inscrivent au Bureau des guides (1). Ils montent au refuge où ils retrouvent leur guide. La contribution individuelle est de l'ordre de 90 euros, un coût qui peut à la fois paraître élevé… et très modeste au regard de la qualité de la prestation d'un guide comme Émile – connaissance du terrain, pédagogie et garantie de la sécurité de cinq personnes tout de même, le tout occupant une longue journée de 24 heures tout compris. On comparera le service rendu à des cours d'informatique individuels dispensés à 25 euros de l'heure, activité moins risquée, un crash de disque dur étant moins dommageable qu'une chute dans une crevasse !

(1) Bureau des guides de Pralognan-la-Vanoise, BP 17, 73310 Pralognan-la-Vanoise. Téléphone : 04 79 08 71 21

jeudi 26 juin 2008

Gran Paradiso

Pourquoi gravir des montagnes ? Que vont chercher là-haut ces fondus de la neige (parfois fondue d'ailleurs) ? Il est un sommet dont la dénomination en elle-même est une réponse : le Grand Paradis.

Bigre ! Rien que cela ? Le Paradis serait-il accessible au commun des mortels ? Eh bien oui, en voici la preuve.


Derrière le sérac, le Paradis, et l'arrivée du soleil.

Le Grand Paradis culmine à un peu plus de 4000 mètres, ce qui n'est pas le moindre de ses attraits : les alpinistes sont d'incorrigibles collectionneurs et tous les moyens sont bons pour les motiver. Certes, la "Conquête de l'inutile" (dixit Lionel Terray) ne peut qu'exiger une motivation infinie, par construction. Mais s'agit-il d'inutilité ? Oui et non. Oui, car une activité "inutile" dans une société obsédée par l'utile représente déjà une louable et… utile transgression. Non, car si l'on s'acharne à remonter des pentes de neige raides pendant des heures, c'est bien que cela nous semble utile, et point besoin de s'appeler Mazeaud pour autant.


La jonction entre les deux voies d'ascension, vers 3600 mètres d'altitude.

De quarante à cinquante
L'idée consistait à aller gravir un sommet de plus de 4000 mètres, dans un cadre de haute montagne, en écho et en prolongement de l'ascension du mont Aiguille l'année dernière (ainsi d'ailleurs que celle des Pointes Lachenal). Parmi les prétextes utiles, il s'agissait à nouveau de marquer un anniversaire : après les quarante ans de Benoît, les cinquante de Jean-Luc. La même équipe était rassemblée : Pascal Huss, le guide, à qui la charge des deux suiveurs allait à nouveau échoir, et qui remporta à cette occasion un Prix de Patience et de Constance. Et si vous êtes incroyants, un compte rendu est accessible sur le site CampToCamp à cette adresse : www.camptocamp.org/outings/131601/fr


Le Grand Paradis vu du refuge Chabod. Sur la droite, on distingue la trace de la voie "paranormale" (glacier de Laveciau) qui aboutit au Dos d'Âne où l'on retrouve l'itinéraire montant du refuge Victor-Emmanuel II.

La voie paranormale
Pour atteindre ce "Toit du Monde" de nos rêves, il fallut marcher, marcher et encore marcher, à tel point que nous avons cru avoir découvert ce qu'était l'Éternité – il fallait s'y attendre en tentant le Grand Paradis. Quant à l'itinéraire, la voie dite "normale" avait été remplacée à l'initiative du Pascal précité par une sorte de voie "para-normale" aux vertus magiques (1). Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre de redescendre ladite voie "normale", toute notion de "normalité" devenant soudain étrangère. Infinie descente d'une pente non moins infinie, remplie d'une neige constellée de trous, d'abîmes et de précipices sans fond (ou presque, j'exagère mais il y a de cela).


En haut du glacier de Laveciau, non loin du Dos d'Âne. Les skieurs ne peuvent qu'être poussés par le vent, il n'y a pas d'autre explication !


Beaucoup d'appelés et… pas mal d'élus.

Un quart d'heure de Paradis
Et le Paradis ? Il est habité par une Vierge, premier indice de son authenticité. Nous y avons rencontré une Sainte Famille nombreuse, encordée et parlant une langue inconnue – la langue du Pape ? Nous n'y avons séjourné qu'un bref quart d'heure, sous un vent diabolique et un soleil de plomb. Du haut de ces 4061 mètres (environ), nous avons ressenti durant quelques instants le frisson de la fierté qui anime ces indécrottables prétentieux que sont les ascensionnistes. Orgueil, vanité ? Le mieux est de laisser le mot de la fin à Gaston Rébuffat, et tout devient clair, lumineux et simple :

« Qu'on ne se méprenne pas : dans nos escalades faciles ou difficiles, il ne s'agit pas de "victoire sur un sommet". Peut-être pourrait-on parler de "victoire sur soi-même" ? C'est un bien grand mot. Je pense que c'est plus simple et plus direct que cela : la naissance nous a donné un corps, des muscles, un cœur, une âme ; elle nous a apporté aussi, qu'on le veuille ou non, des ardeurs, des élans. Les montagnes – mais il n'y a pas qu'elles – sont des terrains où l'on peut utiliser ce que "gratuitement" la nature nous a donné de meilleur. »



Le passage-clé de l'ascension, au-dessus d'un vide absolu – mes aïeux !

Temps réel et temps irréel

Tandis que j'écris ces lignes, ce jeudi 26 juin, il est 17h35. Il y a de cela seulement deux jours, Benoît et moi étions à mi-parcours du sentier descendant du refuge Victor Emmanuel. Ça n'en finissait plus, à tel point que nous crûmes (ah, le passé simple, c'est compliqué) ne jamais retrouver la Vallée. Et pourtant ! Aujourd'hui, le Paradis est déjà loin, mais il reste dans nos souvenirs pour toujours. Ce n'est pas la moindre des qualités de cette activité "inutile"…


De gauche à droite : Pascal (43), Benoît (41) et Jean-Luc (42).

Générique et remerciements

  • Grand merci à Pascal, dont le métier, si "inutile" (!), nous a apporté tant d'indispensable bonheur (contact sur le site www.altalika.fr).
  • Un vif merci à Benoît pour avoir entraîné l'auteur de ces lignes dans cette incroyable aventure (présent sur le Web notamment par son site orthoptie.net).
  • Mille mercis à nos compagnes, restées dans la Vallée, auxquelles nous n'avons cessé de penser durant toute cette mémorable journée (on ne parlera pas ici de l'accorte serveuse du refuge ni de l'attrayante skieuse de randonnée qui nous doubla sur le glacier).
  • Et un merci ému à mes parents, qui foulèrent cette cime en 1965 et devraient être, l'un comme l'autre, au Paradis à l'heure qu'il est.
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(1) Traditionnellement, on appelle voie "normale" d'une montagne l'itinéraire le plus facile et/ou le plus suivi par les alpinistes. Au Grand Paradis, une alternative à la voie normale permet de gagner les alentours du sommet (le « dos d'âne ») en partant non pas du refuge Victor-Emmanuel II, mais du refuge Chabod, via le glacier de Laveciau. À peine plus difficile, un brin plus longue, elle est aussi nettement plus belle que la voie normale, tant par son tracé que par le décor dans lequel elle se développe.

Quelques liens repérés sur la Toile
Un récit d'ascension par la même voie, illustré d'intéressantes photos permettant de comparer l'enneigement estival à celui de cette fin de juin : http://pagesperso-orange.fr/nader1/Le-Grand-Paradis.htm

Imprimatur de Benoît LXVI © 26 juin 2008